Journal du 5 au 6 mai 2024

Ce que j’ai lu

Deux Nouvelles exemplaires de Cervantes : La petite gitane et L’amant libéral. Qu’entend-il par exemplaires ? Doit-on prendre en exemple cette gitane et cet amant ? Leurs aventures rocambolesques sont pourtant bien éloignées de notre quotidien. Nous ne sommes ni sur les routes d’Espagne ni esclaves des Turcs sur l’île de Chypre et surtout ces histoires de fascinations amoureuses qui transcendent toute réalité, on les lit avec un scepticisme de vieux garçon qui se garde bien de se laisser happer par des Précieuse, des Léonise ou des Dulcinée dès le premier regard au point de devenir soi-même gitan ou esclave. Il y a néanmoins une fraicheur, une naïveté et un sens de l’aventure dans ces nouvelles que nous lisons non pas finalement comme des exemples mais comme des contes dont peu importe la morale.

Ce que j’ai vu

Toujours Les 100. La planète devenue inhabitable, l’espoir que la technologie nous sauve et la déception quand on s’aperçoit que les progrès mirifiques de la science ne peuvent tirer d’embarras que quelques privilégiés qu’il s’agit de choisir en évitant qu’eux-mêmes s’entretuent. Un conte dont la morale importe.

Ce que j’ai entendu

Un humoriste de gauche viré pour antisémitisme à l’heure où la parole d’extrême droite a pignon sur rue, qu’est-ce que ça raconte de notre monde ? Guillaume Meurice, que pourtant la justice a blanchi, n’a pas le droit d’insulter un facho comme Netanyahu alors que se pavanent partout les Le Pen et autres Zemmour, qu’est-ce que ça insinue dans la tête des gens ? Assurément de la confusion (par exemple sur le sens du mot antisémitisme), peut-être pire.

Ce que j’ai fait

Cette chanson sur l’IA, j’y insère bien des grossièretés, mais ce n’est pas vraiment une chanson sur l’IA, c’est une chanson sur le fatras numérique, le grand tout et n’importe quoi des réseaux, la dématérialisation de la vie. On ouvre certes des espaces sur Internet où l’intelligence tente de supplanter la bêtise mais la bêtise détient la force du nombre et c’est bien là le problème : intelligence artificielle mais connerie naturelle.

Journal du 19 au 21 avril 2024

Ce que j’ai lu

Ainsi donc Don Quichotte meurt aussi, à la fin, il meurt guéri et je me souviens qu’à la première lecture cette guérison m’avait affligé. À la seconde, je souris. C’est que ce héros-là permet de multiples lectures, qu’il – mais n’oublions pas Sancho – n’est pas d’un bloc, tout sublime ou tout grotesque, qu’il est terriblement humain, Jean qui rit Jean qui pleure, comique et tragique à la fois, réel et farfelu, enthousiasmant et décevant, volatile et fidèle, humain, écrivais-je, et cela suffit à mon plaisir, cette humanité à tant de facettes que cela étourdit.

Ce que j’ai vu

Voir et lire en même temps : de Simenon je n’ai pas lu grand-chose, alors j’écoute François Bon s’y coller, au texte de Simenon, dans cette vidéo carnet, avec cette liberté du lecteur qui lit, relit et relit encore et qui simplement prend le bouquin et relit encore mais face caméra, allant chercher dans le texte lu et relu matière à dire ce que ça fait, la lecture (m’y coller aussi, avec Don Quichotte).

Ce que j’ai entendu

Ce besoin soudain d’écouter de la chanson française, de sélectionner ces quelques bijoux qui marquent, un Nougaro, Le coq et la pendule, un Reggiani, Si tu me payes un verre, un Souchon, La p’tite Bill elle est malade (ce serait chouette de les ajouter à mes propres chansons, un jour, ces chansons-ci) (de Renaud aussi, La mère à Titi).

Ce que j’ai fait

Jouer avec les petits, tenter de suivre le rythme quand à côté ça se perd, me concentrer mieux que ces percussionnistes déchaînés qui tapent sur tout et surtout sur mes nerfs, et sentir que cette chanson, Journal intime, je tiens le bon bout, mais il est temps que mes chansons solitaires, je trouve avec qui les chanter (un rêve d’enfance à réaliser, il serait temps).

Journal du 13 au 15 avril 2024

Ce que j’ai lu

Baroque : mot employé à toutes les sauces, même les plus insipides, mais Don Quichotte (surtout le deuxième livre) est de toute évidence un ouvrage baroque. Ayant exprimé cela, je n’ai pourtant encore rien dit. En quoi Don Quichotte est-il baroque ? Peut-être par ce va-et-vient constant entre illusion et réalité, entre moquerie et grandeur, entre ridicule et héroïsme. Certes, quand le chevalier au lion vole sur un cheval de bois qui terrorise son fidèle Sancho, c’est une pièce de théâtre que se font jouer ses cruels hôtes aux dépends de leurs fantasques invités, mais derrière ce ridicule il y a un noble cœur et ce duc et cette duchesse on ne peut s’empêcher de les trouver fort méchants et d’avoir pitié de notre ingénieux hidalgo resté pur dans un monde qui renie ses origines. Est-ce cela le baroque, l’hésitation entre rire et colère ? Notre monde semble alors bien baroque.

Ce que j’ai vu

Les séries d’aujourd’hui (toujours Les 100) se prennent au sérieux. Elles posent, surtout quand elles se disent dystopies (alors que Don Quichotte est une utopie), des questions de vie ou de mort en permanence. La vie et la mort ne sont jamais certaines (c’est peut-être en cela qu’elles aussi sont baroques) mais quand une héroïne poignardée tombe d’une falaise surplombant une rivière qui coule trois cents mètres plus bas, qu’est-ce qu’on parie qu’elle n’est pas morte et que se trouve par hasard dans le coin un bon cheval plus vaillant que Rossinante pour la recueillir ? Le truc tout droit pompé du Seigneur des Anneaux sent un peu le plagiat, non ? Le problème du baroque (du moins de l’invraisemblable) quand il devient stéréotype, c’est qu’il ne surprend plus personne.

Ce que j’ai entendu

Cela entre par une oreille et ressort par une autre. Il a été question d’Irlande, de druides, de guerres, de famine, d’indépendance. L’envie me vient (ce que j’empresse de faire) de réécouter cette chanson de Romain Didier qui est peut-être bourrée de clichés mais qui vaut mille fois ces sempiternels Lacs du Connemara qui font rallumer toutes les lumières en fin de soirée (et en passant je me demande si le coup du cheval qui sauve le héros tombé de la falaise ce ne serait pas une légende celtique) (ChatGPT, qui a réponse à tout mais pas toujours la bonne réponse, cite l’histoire d’un certain Grisandole puis se ravise).

Ce que j’ai fait

Cette chanson, Journal intime, si difficile à extirper de moi parce que ce n’est pas le mien, ce journal intime, et que je n’ai reçu aucune autorisation à l’ouvrir. Sinon, je commence à piger l’heureux exercice à la clarinette, même si pour l’instant il contribue fort peu à mon bonheur, pas plus que mes autres activités créatives, toujours aussi fragmentaires. Je commence presque à savoir jouer Santiano à la guitare, histoire d’accompagner mon gamin dans sa grange et de remercier Margot de sa patience lors de mes tâtonnements clarinetteux (pour du rythme sur Santiano il faudra néanmoins redoubler de patience).

Journal du 6 au 7 avril 2024

Ce que j’ai lu

Un homme qui se transforme en bestioles, qui vit avec une grenouille, qui a pour ennemi intime un homme qui se transforme en objets, où me suis-je donc fourré avec cet Animan ? D’autant plus que Don Quichotte, ce n’est pas beaucoup plus sain d’esprit. Lectures pour déglinguer le sinistre quotidien où rien ne se passe, grain de folie nécessaire et sans risque.

Ce que j’ai vu

De plus en plus sombre, Les 100, voilà qu’ils crucifient les récalcitrants. On s’acharne à regarder des horreurs. À quoi bon ? Parce que telles horreurs, certes ici c’est une série, mais dans la réalité aussi les utopistes tuent.

Ce que j’ai entendu

Oratorios, Franck Martin puis Arthur Honegger, In terra pax et Le Roi David, par le Chœur de Chambre de l’Université de Fribourg (ma voix perdue parmi la foule, dans la belle église en béton d’Hérémence, avoir été un atome dans ce cri) : musique de tripes et de lamentations (interdite dans la Cité des Lumières des 100, parce que de souffrance il est question en permanence, même si tout s’éclaire à la fin, un jour viendra où une fleur fleurira).

Ce que j’ai fait

L’éparpillement du faire donne l’impression qu’on ne fait rien quand on fait trop. Relecture à petite doses de Fribourgs, sabrer certes mais pas trop (ce monologue du vieux de la Vignettaz, ses pommiers, sa villa, son épouse, j’en suis assez content, parce que ça délire bien), acharnement sur guitare et sur clarinette (le piano, on jouote), accouchement difficile de cette chanson où je me mets à la place d’une, Journal intime, ou comment évoquer l’écriture qui refuse la lecture.

Journal du 3 au 7 mars 2024

Ce que j’ai lu

Roman policier ou affaires réelles, la frontière est souvent ténue : Cercueils sur mesure de Truman Capote, récit véridique non romancé d’un crime américain ; Il était deux fois, roman de Franck Thilliez dans lequel un autre roman, inventé (mais tout roman est inventé), modifie la réalité (du moins la réalité du roman, c’est-à-dire la fiction). Vertige du double lecteur : qu’est-ce qui est réel ? qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quand on lit, tout est réel et tout est irréel, en même temps. On sait que les personnages sont de papier mais on sent qu’ils sont aussi des personnages réels. Autre lecture du moment : Don Quichotte. C’est peut-être dans ce livre-là que naît ce trouble.

Ce que j’ai vu

YouTube, si l’on ne s’y perd pas, est une mine. On y trouve des gens passionnants (et passionné), on s’y laisse hypnotiser par François Bon, on y fait l’exégèse de Sacré Graal ! avec Pacôme Thiellement, on vole quelques images des jours (de tous les jours) avec Patrick Müller. Netflix, c’est plus carré, mais cette série, Les 100, tourne à l’horreur et au dilemme moral permanent, ce qui fait qu’on se laisse happer. Mais le soir on va au théâtre et c’est Racine, Andromaque, et on en ressort abasourdi, à la fois enthousiaste et déçu, fatigué par tant d’intensité, éreinté par les mots, la beauté des alexandrins, la force d’une langue qui creuse l’âme des personnages au moment crucial de leur vie, personnages mis à nu par les mots qui les traversent et par l’implacable arbitraire de leurs sentiments. Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque, qui aime Hector, qui est mort : quand on a résumé la pièce ainsi, on n’a encore rien dit, on n’a encore rien compris, on ne s’est pas encore mis à la place de chacun des personnages et c’est seulement une fois le spectacle terminé qu’il résonne en nous. On en a un peu parlé à chaud en sortant mais dans de tels moments on ne peut dire que des banalités ou des énormités, mais vient la nuit : insomnie ; on croit entendre à nouveau les plaintes de tous, on meurt une nouvelle fois avec eux, et au matin on part en quête d’une parole :

Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.

Oreste ivre se perd, Hermione ne rit plus, Andromaque n’est plus, Pyrrhus assassiné a rejoint le mari d’Andromaque. Tout cela, ce flux de passions, n’est pas jouable sur un crouille théâtre mais le jeu des comédiens, qui parfois en font trop et parfois pas assez, s’insinue comme un poison dans nos théâtres intimes.

Ce que j’ai entendu

Il fut question de bâtisseurs et d’un retour à Paris, le Notre-Dame de Viollet-le-Duc, la tour en fer de Gustave Eiffel, et Versailles, pour fuir la grande ville et pour écouter ces musiques apaisantes qui poussent à la lecture (citer au passage Vivaldi, Debussy, Francis Poulenc).

Ce que j’ai fait

Les filles de la piscine, la chanson s’achève sur un plongeon. Il est temps de me jeter à l’eau, de les chanter pour de bon, ces chansons, mais avec qui ? En attendant, je m’essaie à la guitare mais les doigts sont hésitants comme ils le sont à la clarinette. À force de tout faire, on ne fait tout qu’à moitié, mais la moitié de tout, ce n’est pas rien. Et écrire ? Toujours des bribes par-ci par-là. Source tarie on dirait, en attendant le printemps.

Journal du 6 au 10 février 2024

Ce que j’ai lu

La littérature du dernier dix-neuvième siècle et celle du premier vingtième siècle, des noms qui sonnent démodés désormais, Paul Valéry, Jean Giraudoux, Georges Bataille, des œuvres que le temps a peut-être dévêtues de leur force d’évocation : Valéry pétant dans l’azur (Monsieur Teste), Giraudoux alignant les clichés teutons (Siegfried et le Limousin), Bataille poussant le vice jusqu’à le rendre lourd (Histoire de l’œil). Reste Céline, le plus ignoble de tous, le plus génial aussi, et se plonger dans des œuvres plus anciennes mais que le vieillissement ne touche pas, ce début du second livre de Don Quichotte, si moderne (la bêtise de Sancho Pansa, tellement plus réjouissante que l’intelligence de Monsieur Teste).

Ce que j’ai vu

Pour défendre Valéry (et c’est pour cela que je l’ai lu), William Marx exhume le cours du maître au Collège de France et répond aux critiques (Nathalie Sarraute délicieusement cruelle), mais avouons que Paul Valéry, on peine, trop abstrait, trop philosophe, trop bien élevé ; alors on regarde Les 100, ça se massacre à tout va, ça torture, ça tente des approches de paix qui foirent, ça expérimente sur des humains, ça crée des démons, ça se regarde avec ce plaisir coupable de l’intello qui voudrait n’aimer que les azureries foireuses et les freudiennes débauches mais qui souvent préfère les histoires d’adolescents qui veulent sauver le monde et s’entretuent à tout va quand ils ne baisent pas en toute chasteté de série télévisée, c’est-à-dire hors écran.

Ce que j’ai entendu

De la musique classique plus que classique, les grands succès du genre, ceux qu’on connaît par cœur et aussi des chanteuses (Marie-Paule Belle, Françoise Hardy), écoutes assez banales que celles récentes, envie de revenir aux bases, trêve dans la découverte, on ressort les vieux CD.

Ce que j’ai fait

Toujours papillonnantes, mes créations et mes réalisations, quelques accords de guitare, le même trait de clarinette mille fois, une écriture qui ressasse, des cours repris des années précédentes (la phase créative, le projet inédit, on s’y remet dès demain, voyage à Paris, quatre jours, un livre à écrire, à Paris, en quatre jour, écrire pour créer un objet, voilà peut-être un moyen de relancer la machine, et surtout : l’offrir, cet objet, aux gens qui compte, pour faire semblant de ne pas voyager seul).

Journal du 3 au 5 février

Ce que j’ai lu

Des génies et des ratés, des génies qui se loupent, qui se vautrent, qui tombent de haut : terminé la première partie du Don Quichotte, fascination pour l’acharnement du personnage, pour son imagination, pour son indifférence au ridicule, on voudrait se moquer, on ne peut pas, on rit avec lui, pas contre ; lu Le Mauvais génie (une Vie de Matti Nykänen) d’Alain Freudiger, le génie du saut à ski qui sur terre tombe dans l’alcoolisme, la violence, un ridicule que comme Don Quichotte il semble ne pas voir ; continué Mort à crédit, toujours à haute voix, la catastrophe de la culture des pommes de terre, Courtial des Pereires de moins en moins génial tant tout foire systématiquement dès qu’il tente une expérience, ratage que Céline, avec son sens de l’hyperbole, rend magnifique :

  Par l’effet des ondes intensives, par nos « inductions » maléfiques, par l’agencement infernal des mille réseaux en laiton nous avions corrompu la terre !… provoqué le Génie des larves !… en pleine nature innocente !… Nous venions là de faire naître, à Blême-le-Petit, une race tout à fait spéciale d’asticots, entièrement vicieux, effroyablement corrosifs, qui s’attaquaient à toutes les semences, à n’importe quelle plante ou racine !… aux arbres même ! aux récoltes ! aux chaumières ! À la structure des sillons ! À tous les produits laitiers ! n’épargnaient absolument rien !… Corrompant, suçant, dissolvant… Croûtant même le soc des charrues !… Résorbant, digérant la pierre, le silex, aussi bien que le haricot ! Tout sur son passage !

Ce que j’ai vu

À Nuithonie, Occident de Rémi de Vos, un couple alcoolisé et raciste, leurs engueulades, leur vulgarité, l’humour pour rendre cela supportable, même si disons que je ne suis pas sorti emballé, que certes il faudra considérer la vulgarité comme de la poésie et la réconciliation finale comme un espoir mais justement, la fin, ça tombe à plat, on a assisté (j’y suis allé seul, par bonheur, à une heure de haine saupoudrée d’humour lourd, puis ils vont voir la mer, bof).

Ce que j’ai entendu

Mauvais genre, explorer les angles morts de la littérature, du cinéma, de la vie culturelle, entre bistrots étranges, policiers italiens, films d’horreur, sorcières et héros minables, écouter avec envie ces génies-là, ceux d’à-côté l’art officiel, envie d’aller y voir de plus près, de m’encanailler.

Ce que j’ai fait

Peu d’encanaillement, même si le texte des Filles de la piscine s’approche de zones osées (mais bien cliché, hélas) et que s’acharner sur la clarinette à jouer mille fois le même trait qu’en répétition ensuite on ne passe quand même pas, il y a de quoi désespérer, et pour la guitare c’est pareil, l’accord de ré ne sonne jamais du premier coup, mais faire de la musique, c’est s’acharner, je le sais bien, comme écrire (Grottes a un peu avancé, Séraphine est restée longtemps immobile devant la porte mais elle a bougé, enfin).

Journal du 7 au 12 janvier 2024

Ce que j’ai lu

Tous azimuts, toujours, avec beaucoup de David Lodge, L’auteur ! L’auteur !, Henry James et le théâtre, cette partie centrale du livre autour de cette pièce, Guy Domville, les points de vue multiples sur la première, l’auteur qui fuit, le compte à rebours, triomphe ou débâcle ? On lit ceci comme si on était Henry James, comme si sa pièce, c’était la nôtre, alors quand le couperet tombe… puis le roman devient mélancolique, les amis meurent, l’auteur vieillit, et on lit d’autres histoires, des récits de voyage de Philippe Rahmy, les aventures orientales d’un captif qui pourraient bien s’appeler Miguel de Cervantès, un étrange objet qui ne cesse de grandir.

Ce que j’ai vu

Une nouvelle série, Les 100, le retour sur la terre de cent jeunes (des ados, plus ou moins, de jeunes adultes, avec tout ce que cela comporte de clichés, de coucheries, de niaiseries, de corps parfaits, mais aussi un côté Sa majesté des mouches, une société à reconstruire dans un univers hostile, vide de prime abord, mais…). D’autres réflexions sur le pouvoir, des conférences autour des prophéties impériales au Moyen-Âge, des images glaçantes sur la menace fasciste qui augmente, des gens (ceux-là, celles-là, si précieux dans un tel contexte) qui parlent de livre, Azélie Fayolle, Bruno Lalonde.

Ce que j’ai entendu

Marie-Paule Belle, chanteuse hors du temps, charmeuse hors pair, le plaisir de l’entendre parler, chanter, rire. François Morel, de vieilles archives d’interviews ratées, C’est mieux que rien, ce talent, cette tendresse, ce rire, aussi, François Morel. Et Callas, et George Clinton, ce titre, Open your mind… and your ass will follow, à méditer, tant le cul, ça se passe dans la tête (et la tête dans le cul, sous LSD, George Clinton, en ce temps-là).

Ce que j’ai fait

Plein de choses, pas grand-chose. Créateur éparpillé. Des vidéos, des notes, de la musique, mais la technique, mon point faible c’est la technique, je devrais m’acharner plus, moins papillonner, et des chansons aussi, Les filles de la piscine, ça s’appelle, le nageur myope (piège de la rime, n’y point tomber), et enseigner, lancer des salons littéraires, rendre Molière lisible (la langue de Molière, disons-le, est une langue morte, plus personne ne la comprend). Toujours pas d’écriture au long cours.

Journal du 28 au 29 décembre 2023

Ce que j’ai lu

Picorer dans les livres et les revues. Ouvert à peine ce livre de philo, La rencontre, par Charles Pépin, livre qu’on peine à lire seul (comment s’ouvrir à la rencontre, voilà ma question, une question de plus en plus difficile à résoudre, avec le temps), puis les aventures d’Isaac le pirate, par Christophe Blain, un livre où les rencontres fourmillent, pas toujours agréables, puis L’auteur ! l’auteur !, ce personnage-auteur dont on suit les premiers pas au théâtre (le titre, c’est le cri des spectateurs à la fin de la pièce), encore une histoire de rencontre, celle d’un homme seul avec une troupe puis avec un public (lire, c’est toujours une rencontre), puis Don Quichotte, les amours croisées de Cardénio, Dorothée, Lucinde, Dulcinée, rencontres fulgurantes et fuites tragiques, et l’ouverture du Journal d’un mot d’Emmanuelle Cordoliani (la rencontre avec les mots, essentielle elle aussi), et encore un autre bouquin, Pourquoi nous ne faisons rien pendant que la maison brûle ?, le terrible bilan que font Lydia et Claude Bourguignon de l’état du sol, de l’eau, de l’air, et ce silence (la rencontre ici ne se fait pas, celle entre les hommes et la terre).

Ce que j’ai vu

Le génie, qu’est-ce que c’est ? Je suis avec intérêt ce qu’en raconte Ann Jefferson, entre littérature et pathologie, puis savoure des voix lisant, des paysages, des visages, Michel Brosseau avec Jacques Dupin, Juliette Cortese avec Laurent Stratos (des rencontres, encore, mais le génie est-il capable de rencontrer ?) et me vautre devant Breaking Bad, dernière saison, tout pète entre Walter et Jessie (la rencontre, quand ça va trop loin…) comme tout pète entre Bibi (c’est le surnom sympathique qu’on donnait à cette ordure dont je ne vais pas citer le nom) et le peuple d’Israël.

Ce que j’ai entendu

Laurent Gerra, c’était plus drôle il y a dix ans (il ne passait pas son temps à taper sur les écolos) et Pierre Desproges, c’était encore plus drôle (c’est un peu mon quart d’heure humour de droite), mais écoutons plutôt Anne Sofie von Otter chanter en français (c’est du moins ce qui est écrit sur le disque parce je n’y comprends rien et lire des noms comme Stéphane Mallarmé et n’y pas piger un mot peut-être bien que c’est hermétique mais j’ai de la peine : s’il y a un texte, c’est qu’il doit être entendu, non ? alors tant pis pour Mallarmé, je lis Don Quichotte par-dessus son épaule). Quant à ces conférences sur les fixeurs au Moyen Âge, je ne les écoute que d’une oreille (parce que je crois que je n’ai pas vraiment compris de quoi il en retournait, le mot fixeur restant un mystère pour moi, est-ce qu’il y a une entrée fixeur dans le journal d’Emmanuelle Cordoliani ? il y a fixer mais pas fixeur).

Ce que j’ai fait

Pas grand-chose (on a toujours l’impression de ne pas faire grand-chose puis on regarde la liste et elle n’est pas si courte). Je joue un peu de clarinette (toujours pas de nouvelles anches mais je déchiffre ce duo — encore une rencontre qu’un duo, même si là, je joue seul, d’abord la voix du haut puis la voix du bas — et ce Mozart, pas si difficile mais consolider et accélérer le tempo, dira-t-elle si je ne bosse pas plus). Je cause devant la caméra (le tas de livre à commenter est épuisé, celui de ceux à monter puis diffuser augmente, même si Durango et Stöld, c’est dans la boîte). Et écrire, est-ce que j’écris ? Le journal du corps, j’ai promis que je n’en parlerais pas ici (mais le corps a besoin d’écrire, surtout dans ce creux des entre-fêtes) ; le carnet, je fais toujours dans le très (le trop ?) court ; le livre, ça ne décolle pas ; les dix-sept minutes de dix-sept heures dix-sept (intensifier cette écriture-là ?), retour sur le jour de Pâques 2021, une promenade en forêt, la voix de papa (pour encore un peu le rencontrer, papa).

Journal du 23 au 27 décembre 2023

Ce que j’ai lu

Laisser les époques et les genres s’entremêler : le dix-neuvième siècle anglais d’un auteur américain, ce Henry James resté chaste toute sa vie, sa vie à rebours ; le vingtième siècle terrible des camps de Chalamov ; le début du dix-septième siècle espagnol (relecture don Don Quichotte, tellement plus de distance avec le personnage, tellement plus de plaisir, comme si jadis j’avais lu les livres comiques avec trop de gravité, même impression que pour Mort à crédit, cet exil à la campagne avec Courtial des Pereires, Don Quichotte des inventeurs, et Ferdinand, son Sancho, et sa femme, la grande mignonne, avec ses bacchantes, Dulcinée vieillie) ; le temps des pirates en bande dessinée ; et Dante, n’en plus finir de remonter à la surface ; et Emma Goldmann, l’anarchiste foutue dehors et des Etats-Unis et d’URSS ; et ce Petit manuel philosophique à l’intention des grands émotifs, histoire à la fois d’accepter et de se méfier de ce qui se passe en nous.

Fatras ? Certes, mais plaisir (surtout dans les romans, avouons-le, l’insomnie en compagnie du chevalier à la triste figure, on se réjouit de se réveiller en sursaut au milieu de la nuit).

Ce que j’ai vu

Quelques vidéos glanées sur YouTube, ces carnets de François Bon, ces autrices qu’il dégotte, sa diction dans les choses lues, la vie littéraire par Gabrielle Roy, grâce à qui le Canada remporta le prix Fémina, des livres d’aujourd’hui, cette Grammaire pour cesser d’exister dont le titre seul suffit à rêver, une page oubliée d’Annie Ernaux, et puisqu’il est question d’œuvres oubliées ou perdues ou pas même nées, ces Wandering rooms qu’imagine Sophie Rabau, dans l’angle mort de James Joyce et de Théodore Reinach, ce lieu qui bougerait sans cesse, cette maison dont les pièces danseraient (on pense bien sûr à La maison des feuilles), l’œuvre perdue devenue œuvre à inventer, œuvre perdue du futur.

Ce que j’ai entendu

Tentative de dégenrer l’algorithme de YouTube musique à partir de Que demander à Clara ? : Else Aarne, Caia Aarup, Katy Abbott, Keiko Abe, Rosalinda Abejo, Eliane Aberdam, Isabelle Aboulker (toutes trouvées mais le morceau suivant, laissé au choix de la machine, c’est toujours de la musique de mec, souvent de l’entendu mille fois, parce l’algorithme, ce qu’il croit, c’est que l’auditeur a envie d’entendre toujours les mêmes machins, à l’instar de cette Sarabande de Barry Lindon, du film Stanley Kubrick de Jean-Sébastien Bach qui semble le must du must en matière de musique classique pour YouTube). Quant aux podcasts, c’est avec philosophie que je les écoute, entre Erasme et la sociologie (cette question du poids de la société sur les individus, si cruciale, même si les philosophes, avouons qu’ils l’abordent de manière si théorique qu’on peine à s’y accrocher, alors on change de podcast, on écoute l’histoire de l’apôtre du cru, un homme qui s’affranchissant du poids de la société crée un enfer, crée, disons-le plus précisément, une nouvelle société pire que la société, même si au fond ce qui pose problème dans cette question du poids de la société, c’est la notion de société dont le singulier me semble problématique, mais me voilà moi-même théoricien, alors allons faire un tour du côté des mauvais genres, inventons de nouvelles sociétés farfelues mais qui resteront à l’état de bouquins, voilà peut-être comment échapper au poids de la société sans créer pire que la société).

Ce que j’ai fait

Il y a bien sûr un peu d’écriture, l’ouverture d’un fichier pour le roman qui peine à naître, des notes de carnet, de l’écriture vite faite, pas d’envie d’y plonger longtemps. Il y a aussi de la musique, des airs de clarinette (mais plus d’anches potables, alors on attend la commande et on joue peu, on déchiffre à peine) et de la vidéo (grand rattrapage en cours, mise en ligne de Bobin, de Beckett surtout, et de ce livre sur la guerre du Sonderbund où lire les noms des villages d’ici dans un contexte de guerre, ça résonne avec la terrible actualité : ici aussi…). Ce qu’il y a eu surtout, c’est l’envoi à quelques-uns (à quelques-unes surtout) de cette chanson, Les gentils, ma première, pour l’instant a capella, parce que je ne sais pas faire plus, cadeau de Noël que je me fais en l’offrant, même si ce que la chanson a d’intime, je crains de le révéler, ce que cela dit de ma fragilité aussi, même si je me cache derrière l’humour (réactions positives en général, ou silence, à ne pas interpréter, ils (elles surtout) me diront en live ce qu’ils (elles surtout) en pensent).