Citation du jour

Chaque soir glaner dans les lectures du jour une citation, une phrase ou deux, et les recopier, sans en donner la source. Au bout de quelques citations, en révéler l’autrice ou l’auteur et réfléchir au sens de tout cela.

1.12.23

Un éclair… puis la nuit ! — Fugitive beauté

30.11.23

Dès que dans l’existence ça va un tout petit peu mieux, on ne pense plus qu’aux saloperies.

La citation du jour (13.11.23-29.11.23)

Chaque soir glaner dans les lectures du jour une citation, une phrase ou deux, et les recopier, sans en donner la source. Au bout de quelques citations, en révéler l’autrice ou l’auteur et réfléchir au sens de tout cela.

29.11.23

Va, cours, vole, et nous venge.

Corneille, Le Cid, 1637.

28.11.23

Plus l’offenseur est cher, et plus grande est l’offense.

Corneille, Le Cid, 1637.

27.11.23

Le post-véritisme est cette tentative consistant à faire disparaître la vérité objective au sein d’un univers démocratique en la dissolvant, en quelque sorte, de l’intérieur. Ce qui est tout, sauf démocratique. Ainsi le totalitarisme et le post-véritisme sont l’application, sous des régimes opposés, d’une seule et même stratégie : rompre toute relation entre le langage et la réalité, et empêcher tout accès à la vérité objective, de manière à détruire les conditions même de la liberté.

Claudine Tiercelin, La Post-vérité ou le dégoût du vrai, 2023.

26.11.23

Il se requinque vite les moustagaches… Le voilà paré ! Il remonte au jour… Il se présente dans une brillante forme… Déjà il avait son topo tout prêt dans l’esprit… tout baveux… complétement sonore !… Il nous éblouissait d’emblée sur la question des plongeurs ! L’historique de tous les systèmes depuis Louis XIII jusqu’à nos jours ! Les dates, les endroits, les prénoms de ces précurseurs et martyrs !… Et les sources bibliographiques… et les Recherches aux Arts et Métiers !… C’était proprement féérique… Le cureton il en rotait ! Il rebondissait sur son siège de joie et de délectation…

Louis-Ferdinand Céline, Mort à Crédit, 1936.

25.11.23

Elle l’avait aimé avec désinvolture et un certain esprit de décision, qui valait pour deux, comme elle aimait cette saison, suspendue entre l’hiver et le printemps, cette indécision qui répondait à la sienne, l’affadissant de tout avant le regain, la lune, à cette époque de l’année, gigantesque, solaire, gorgée d’eau.

Véronique Sales, Le Livre de Pacha, 2010.

24.11.23

– Ah ! les premières fleurs qu’elles sont parfumées !

Et qu’il bruit avec un murmure charmant

Le premier oui qui sort des lèvres bien-aimées !

Paul Verlaine, Poèmes saturniens, 1866.

23.11.23

Ils se redressaient hypnotisés, le regard figé par la stupeur !… Alors je surveillais les couteaux… Y avait du vent dans les assiettes !… Je m’arc-boutais le dos au mur !… La soupière en guise de fronde !… Prêt à bloquer l’agresseur !…

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

22.11.23

Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins.

Jean Racine, Phèdre, 1677.

21.11.23

L’ancre, gigantesque et noire, luisait sur le sable, miroitait comme un fragment d’aérolithe, résonnait presque. Il y avait posé la main, s’étonnant de la sentir tiède sous sa paume, pas froide comme le métal, non, tiède, un organisme, une étoile tombée et pas encore éteinte, quelque chose qui vivait et respirait, d’un souffle égal, comme, à quelques mètres à peine, le bruit de la mer.

Véronique Sales, Le Livre de Pacha, 2010.

20.11.23

Peut-être que c’est ça, l’agriculture : en venir aux mains avec la nature.

Marin Fouqué, À la terre, 2023.

19.11.23

Pour aller au pain, on prenait par les taillis vers un village, la tante disait “On sera vite à Hérémence”, et ce nom d’errance nous plongeait dans la rêverie.

Jérôme Meizoz, Fantômes et autres nouvelles, 2010.

18.11.23

Voir, penser, aimer : voilà – à une époque où la perception se croit automatique et n’existe plus qu’à travers l’instantanéité – ce qui implique un effort, voilà ce qui est difficile.

Yannick Haenel, Charlie Hebdo, 27 septembre 2023.

17.11.23

Les intelligences, comme limaz sortans des fraires.

La volunté, comme troys noix en une escuelle.

Le desir, comme six boteaux de sainct foin.

Le iugement, comme un chaussepied.

La discretion, comme une mouffle.

La raison, comme un tabouret.

François Rabelais, Le Quart Livre, 1552.

16.11.23

Terrible dicton des camps : “Meurs aujourd’hui, et moi demain.”

Varlam Chalamov, Souvenirs de la Kolyma, 2022.

15.11.23

Faictz ce que vouldras.

François Rabelais, Gargantua, 1534.

14.11.23

Adélaïde se demande à quoi ressemble une vie où on se nourrit de poireaux et de morceaux de citrouille. S’il lui est possible d’éprouver du désir au milieu de l’odeur des poireaux.

Chloé Delaume, Le cœur synthétique, 2020.

13.11.23

Ce soir la solitude lui pèse comme un sac plein de chatons qu’on mène à la rivière. Personne ne pense à elle et elle ne pense à personne. Elle est de son vivant, pour le monde, un souvenir.

Chloé Delaume, Le cœur synthétique, 2020.

Réfléxion

On cite, on cite, mais on ne réfléchit plus. Ou trop rarement.

Dressons la liste : Chloé Delaume (deux fois), François Rabelais, Varlam Chalamov, François Rabelais (encore), Yannick Haenel, Jérôme Meizoz, Marin Fouqué, Véronique Sales, Jean Racine, Louis-Ferdinand Céline, Paul Verlaine, Véronique Sales (encore), Louis-Ferdinand Céline (toujours), Claudine Tiercelin, Pierre Corneille (deux fois).

Tout et n’importe quoi ? Peut-être. Des mots durs, des mots doux, des mots difficiles ou évidents, des mots qui passent et qui s’envolent (va, cours, vole).

Choisir ? Ou pas (faictz ce que vouldras). En venir aux mains ? En venir aux mots. Murmure charmant (seule vérité indéniable). Et ce nom d’errance, Hérémence. Aimer les mots ? Certes, mais avec désinvolture. Mais ne pas les aimer moins. Voir, penser, aimer. Et mourir après-demain.

Grouazel & Locard : Révolution

La Révolution française, j’avoue ne pas y comprendre grand-chose. Alors peut-être qu’en bande dessinée… Révolution de Florent Grouazel et Younn Locard retrace cette histoire complexe en quatre volumes, dont le premier s’intitule Liberté et a été publié en 2019 aux éditions Actes Sud dans la collection L’an 2.

C’est en 2023 est parue le livre 1 de la deuxième partie, Égalité :

Yang Jiang : Six récits de l’Ecole des cadres

Raconter la Chine au temps de la Révolution culturelle, voilà ce que proposent ces Six récits de l’Ecole des cadres de Yang Jiang, publiés en 1981 et traduits du chinois en 1983 par Isabelle Landry et Zhi Sheng pour les éditions Christian Bourgois en 1983.

La citation du jour (jusqu’au 12.11.23)

12.11.23

Quand on rentre dans une étable bien tenue, l’odeur large des bêtes est bonne à respirer, elle vous remet les idées à l’endroit, on est à sa place.

Marie-Hélène Lafon, Joseph, 2014.

11.11.23

Quand nous regardons en arrière, cette partie de notre enfance qui ignorait la honte nous apparaît comme un paradis, et le paradis lui-même est-il autre chose que le phantasme global de l’enfance de chacun de nous ? C’est pourquoi dans le paradis les hommes sont nus et n’ont point de honte, jusqu’au moment où la honte et l’angoisse s’éveillent, où ils sont chassés et où commencent la vie sexuelle et la civilisation.

Sigmund Freud, La Science du rêve, 1900.

10.11.23

Qui ne sait que ces loups doucereux

De tous les loups sont les plus dangereux.

Charles Perrault, Le Petit Chaperon rouge, 1697.

Réflexion

Parfum d’enfance (l’odeur large des bêtes), paradis perdu, ce monde sans honte et sans angoisse exista-t-il vraiment ? Du plus loin que je me souvienne erraient déjà les loups dangereux. Et dans l’écurie (on ne disait pas l’étable), les idées n’étaient pas à leur place, les vaches donnaient des coups de queue, les veaux donnaient des coups de tête et les loups me faisaient moins peur que les chiens.


9.11.23

La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter.

Samuel Beckett, En attendant Godot, 1952.

8.11.23

Par Dieu Panurge le veau, Panurge le pleurart, Panurge le criart, tu feroys beaucoup mieulx nous aydant icy, que là pleurant comme une vache, assis sus tes couillons, comme un magot.

François Rabelais, Le Quart Livre, 1552.

7.11.23

Baise m’encor, rebaise moy et baise:
Donne m’en un de tes plus savoureus,
Donne m’en un de tes plus amoureus:
Je t’en rendray quatre plus chaus que braise.

Louise Labé, Sonnet, 1555.

6.11.23

Il va de soi que seuls les vaincus se cachent le visage. Ils ne le font pas tous. Debout ou assis la tête haute certains se contentent de ne plus ouvrir les yeux.

Samuel Beckett, Le dépeupleur, 1970.

5.11.23

La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable.

Mona Chollet, Sorcières, La puissance invaincue des femmes, 2018.

4.11.23

Cette société est tellement obsédée par le quantitatif qu’elle cherche à quantifier l’émotion : donnez-moi trois kilos d’émotion contre deux de poésie, s’il vous plaît.

Bernard Maris, Charlie Hebdo, 21 mai 2008.

Réflexion

Société du quantitatif, société sans sorcières, sociétés où les vaincus n’ont même plus la force de fermer les yeux, société où baise n’est plus de braise, société assise sur ses couillons, société qui se jette en bas d’elle-même, société qui fait taire Bernard Maris (assassiné), société qui s’acharne sur les rebelles (les écolos, les femmes, les enfants palestiniens), société qui ne comprend rien au génie de Samuel Beckett, société sans Louise Labé (d’aucuns prétendent qu’elle n’a jamais existé), société dont la langue tue Rabelais, société qui ne laisse plus monter les clochard sur la tour Eiffel, et pourtant des mots, des plaisirs de bouche (baise m’encor, rebaise moy et baise), quelques grammes de poésie (on portait beau, qui comprend encore cela ?) dans le cylindre absurde où se nichent ce qu’il reste d’humain (notre société, si semblable à celle du dépeupleur).


3.11.23

Mes mains sont ce lutrin fait pour accueillir les ailes battantes d’un livre.

Christian Bobin, Le Muguet rouge, 2022.

2.11.23

J’ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois raisonnable. Tu n’as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat.

Samuel Beckett, En attendant Godot, 1952.

1.11.23

Nous sommes les survivants des jours hérissés de peut-être.

Damien Murith, Le deuxième pas, 2021.

Réflexion

Les survivants, le combat, celui contre la douleur, celui contre les pensées auxquelles on ne peut plus résister (ce Vladimir-là, évincé par l’autre, l’absurde Poutine, tellement plus absurde que tout Beckett), peut-être pour l’apaiser, cette douleur, suffit-il d’un livre, des mots de Christian Bobin, de Damien Murith, de Samuel Beckett, un livre dans les mains, et le combat qu’on reprend ouvrira nos ailes battantes.


31.10.23

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Ou comme celui-là qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d’usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Joachim du Bellay, Les Regrets, 1558

On ne peut pas bien raconter ce qu’on connaît de trop près.

Varlam Chalamoov, Souvenirs de la Kolima, 2013.

29.10.23

Les mots ont été mes seules amours, quelques-uns.

Samuel Beckett, L’innommable, 1958.

Réflexion

Les mots, mes seules amours ? Les mots, retour au bercail. Heureux qui comme le lecteur revient à la lecture après s’être aventuré dans le monde. Mais le grand lecteur peut-il parler de livres ? N’est-il pas contraint, comme le prisonnier du goulag (la comparaison est ignoble), à raconter autre chose que ce qui est déjà dans les livres, quelques-uns parmi ces livres, les plus beaux, le brûlant trop, le lecteur, pour qu’il s’y frotte. Vivre entre ses parents, quand ce retour, c’est après la mort du père, qu’est-ce que ça change ? Ces mots-là, cette mort-là, me touchent de trop près pour raconter quoi que ce soit à leur sujet.


28.10.23

Écrire, c’est se retirer du monde pour restituer le monde. C’est là un des grands paradoxes de l’écriture, mais en même temps, c’est sans doute la seule façon d’y parvenir : pour restituer le monde, il faut s’en retirer.

Jean-Philippe Toussaint, C’est vous l’écrivain, 2022.

27.10.23

Ce n’est pas l’écologie politique qui est “punitive” ou “terroriste”. C’est le réchauffement climatique qui va nous infliger des raclées et nous terroriser avec des destructions bien plus ravageuses que les quelques dégradations causées en marge d’une manifestation écolo.

Riss, Charlie Hebdo, 16 août 2023.

Réflexion

Face à l’écroulement du monde, que faire ? Deux options : manifester sa révolte, et tant pis si on passe pour un écoterroriste (l’indécence d’un tel mot quand on voit à l’œuvre les vrais terroristes, l’indécence aussi de ne pas parler de terrorisme quand le Hamas tue des enfants) ou se retirer du monde mais pas pour le fuir, pour, à l’instar de Jean-Philippe Toussaint, le restituer, le montrer dans ce qu’il a, le monde, de beau, de brutal, de complexe, de saisissant, de désespérant, le montrer transformé par les mots, parce que ce qui nous manque pour dire le monde, ce sont les mots, les mots que le retrait du monde seul peut inventer, plutôt que de bricoler des mots insensés comme écologie punitive ou écoterrorisme. Me situer du côté de Toussaint ne m’empêche pas de soutenir et de rêver enfin un véritable soulèvement de la terre.


26.10.23

Parfois on vit ainsi dans les cernes d’une photo floue.

Anna Jouy, De feuilles qu’une fois, 2021.

25.10.23

Le rêve est la réalisation d’un désir.

Sigmund Freud, La Science du rêve, 1900.

Réflexion

Parfois le désir reste flou, parfois le rêve déforme la photo, parfois la réalisation du rêve reste floue et sur la photo elle sourit mais tu ne sais pas à qui. Parfois on vit ainsi, sans rêve, sans sommeil, et les cernes, c’est sous les yeux, qui voient flou les désirs qui ne se réaliseront jamais, même pas en rêve, et Anna Jouy, ce pseudo, quelle en est la part de désir et quelle en est la part de rêve ? S’allonger sur le divan du vieux Sigmund ? Pour y dormir.


24.10.23

L’effondrement du questionnement, en cet Occident trop sûr de lui-même, est aussi impressionnant que ses victoires scientifiques et techniques. La peur de penser en dehors des consignes a fait de la liberté, si chèrement conquise, une prison, du discours sur l’homme et la société un langage de plomb.

Pierre Legendre, La fabrique de l’homme occidental, 1996.

23.10.23

À la recherche du temps perdu est une œuvre majeure, mais l’auteur est mort. Cela doit être formidable d’avoir écrit À la recherche du temps perdu, mais plus formidable encore d’être en train de l’écrire.

Jean-Philippe Toussaint, C’est vous l’écrivain, 2022.

22.10.23

Plus l’ignorance publicitaire et télévisuelle augmente, plus le mauvais goût se déchaîne en étant sûr de son impunité, et plus les classiques deviennent des auteurs surprenants, révolutionnaires, fous, surréalistes.

Philippe Sollers, Liberté du XVIIIème, 1996.

Réflexion

Temps perdu, résumé de l’époque, courir après le temps perdu, perdre son temps à courir, mais surtout ne jamais poser de questions, ne jamais penser en dehors des consignes, ne jamais penser tout court, laisser se déchaîner la bêtise et la haine, voilà l’époque, temps perdu alors que le monde s’écroule, temps perdu dans le mauvais goût et les techniques illusoires, temps perdu que cette époque qui oublie qu’un homme un jour, un homme de haut goût, écrivit À la recherche du temps perdu, et que d’autres hommes, d’autres femmes aussi, on les découvre si tard, furent des génies qui pensèrent et écrivirent en dehors des consignes, ces classiques qu’on ne lit pas mais qu’il serait nécessaire de retrouver. Philippe Sollers propose de tout arrêter et de se procurer cinquante volumes de la Pléiade (il donne la liste, on peut la modifier un peu, mais les sept volumes de la correspondance de Voltaire, ça donne envie), de les lire, puis de revenir changé. Parmi ces volumes, il y a bien sûr À la recherche du temps perdu. On pourrait aussi se les procurer vides, ces Pléiades, et couvrir le papier bible de mots. Pendant ce temps-là, on oublierait de détruire les humains et la planète, peut-être.


21.10.23

L’amour le plus exclusif pour une personne est toujours l’amour d’autre chose.

Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

20.10.23

Comme rien ne m’a paru plus nécessaire, plus salutaire que lire, du jour où l’on m’eut appris l’alphabet, je n’ai pas vu, lorsque j’ai commencé, que c’était une occupation assez peu répandue, hasardeuse et très irrégulière.

Pierre Bergougnioux, Signes extérieurs, 2015.

Réflexion

Pierre Bergougnioux, Marcel Proust, l’amour, la lecture. Cet amour d’autre chose, de quelle chose est-il l’amour ? L’amour de la lecture ? Peut-être. Ce qui est certain, c’est qu’en effet c’est une occupation assez peu répandue, hasardeuse et très irrégulière que l’amour.


19.10.23

La passion de l’ignorance se nourrit de notre langage mécanisé et informatisé, un langage qui raisonne mais qui ne pense pas, et qui évacue la question de la responsabilité.

Yann Diener, Charlie Hebdo, 26 juillet 2023.

18.10.23

C’était un esprit Rayons X… Il ne lui fallait qu’une heure d’efforts et de furieuse application pour retaper une fois pour toutes les plus pires enculaillages, les plus prétentieuses quadratures à l’alignement du “Génitron”, à la comprenette si hostile des plus calamiteux connards, du plus confus des abonnés.

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

Réflexion

Entre la passion de l’ignorance, si répandue aujourd’hui, et l’esprit Rayons X de Courtial des Pereires, il y a la distance qui sépare le langage qui raisonne de celui qui pense. Et pourtant, Céline, juste après Mort à crédit, est lui-même devenu un calamiteux connard, il a lui-même évacué la question de la responsabilité. Et ce savant fou, Courtial des Pereires, n’est resté à tout jamais qu’un personnage de roman.


17.10.23

Il existe mille sortes de calvitie… La totale, la modeste, l’hypocrite, l’intellectuelle, la cléricale, la calvitie hydrocéphalique et brachicéphalique, l’oblongue, la circulaire, la teutonne, la calvitie à la pomme d’escalier, à l’américaine, à la mongol, à la fesse de poulet, à la tête de pinceau usagé, à la tête de neutre, à la tête des autres, à la tête de veau (avec lotion au vinaigre)… Sans parler de la calvitie à la Grock, en pain de sucre, en suppositoire, en ananas… Ni de la calvitie en forme d’ampoule (façon Wonder) ou de la calvitie en accordéon (réalisation Robert Schuman – le gars qui connaît la musique)…

San-Antonio, Du poulet au menu, 1958.

16.10.23

Courtial dans l’intimité n’éprouvait que du mépris, dégoût à peine dissimulable… pour tous ces tâcherons minuscules, ces mille encombreurs de la Science, tous ces calicots dévoyés, ces mille tailleurs oniriques, trafiqueurs de goupilles en chambre… Tous ces livreurs étourdis, toujours saqués, traqués, cachectiques, acharnés du “Perpétuel” de la quadrature des mondes… du “robinet magnétique”… Toute l’infime pullulation des cafouillards obsédés… des trouvailleurs de la Lune !…

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

15.10.23

La tenancière de l’albergo est plantée dans sa caisse comme un gros cactus dans son pot. Elle a également des aiguilles, mais elle s’en sert pour tricoter un layette au bébé de la cousine de la belle-sœur  du fils aîné du curé de la paroisse.

San-Antonio, Du poulet au menu, 1958.

Réflexion

San-Antonio et Céline, au prisme de trois citations : quelle différence ? Le poids : San-Antonio plus léger, San-Antonio moins radical et plus potache. Malgré l’humour, chez Céline, le malaise affleure en permanence. Chez San-Antonio, ça peut castagner jusqu’au sang sans qu’on s’en inquiète (et remarquez — Frédéric Dard aurait fait une note de bas de page — les trois « sans »), même si ici il n’est question que d’une caricature de tenancière et de calvitie, quand Céline, lui, se moque avec un vocabulaire plus varié et plus étrange, au point qu’il faut avouer qu’on n’y pige pas grand-chose à ces trafiqueurs de goupilles, à ces cachectiques (je n’ai même pas ouvert le dico pour savoir), à cette quadrature des mondes. On lit Céline, dans de tels extraits, comme on lit Rabelais, pour la folie de la langue, et c’est pour ça aussi qu’on lit San-Antonio, qui se vautre dans le calembour et l’à-peu-près pour notre plus grand plaisir et pour rire (le vrai héritier de Rabelais, c’est lui, c’est le Dard chauve).

Et ma propre calvitie, dans quelle catégorie la placer ? Une calvitie suisse ne peut être qu’à la tête de neutre, hélas. C’est là qu’est l’os, aurait répond Louis de Funès, un autre chauve. Le problème de Céline, au fond, c’est qu’il n’était pas chauve. Et San-Antonio aurait ajouté : chauve qui peut.


14.10.23

Les ailes ne peuvent aller plus vite que la peur.

Dante Alighieri, La Divine Comédie, L’Enfer, XIVème siècle.

13.10.23

Au-delà du canal, entre les maisons que séparent des chantiers, le grand ciel pur se découpait en plaques d’outremer, et sous la réverbération du soleil, les façades blanches, les toits d’ardoises, les quais de granit éblouissaient.

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1881.

12.10.23

Il faut absolument que j’aie le foie d’une tourterelle et que je n’aie pas assez de fiel pour rendre l’injure amère : autrement il y a longtemps que j’aurais engraissé tous les milans du ciel avec les entrailles de ce drôle.

William Shakespeare, Hamlet, 1603.

11.10.23

Tout le monde a une vie pleine d’histoires, votre vie est pleine d’histoires, ma vie est pleine d’histoires. Elles sont très prenantes mais elles ne sont pas vraiment intéressantes. Ce qui est intéressant, ce sont les façon qu’ont les gens de raconter leurs histoires.

Gertrude Stein, L’autobiographie d’Alice B. Toklas, 1933.

Réflexion

Gertrude Stein, William Shakespeare, Gustave Flaubert, Dante : choisir ? pas assez de fiel pour. La pièce s’appelait Presque Hamlet. Il aurait fallu relire l’originale, parce que l’histoire d’Hamlet, j’avais bien une petite idée mais la façon dont c’était raconté, ça avait disparu. Et le ciel ? Le filmer désespérément bleu, sans tourterelle (pourquoi cette histoire de foie ?) et sans plaques d’outremer, le filmer trop éblouissant, et cette peur désormais du ciel trop bleu. Des ailes ? On en rêve. Mais la peur. Et les milans ? Ils ne pas revenus. Choisir quand même ? Les ailes ne peuvent aller plus vite que la peur. Et si l’enfer, désormais, c’était le ciel ?


10.10.23

Elle a toujours beaucoup aimé Osbert. Elle a toujours dit qu’il avait tout de l’oncle d’un roi. Il avait le calme plaisant gentiment irresponsable et agité que l’oncle d’un roi doit toujours avoir.

Gertrude Stein, L’autobiographie d’Alice B. Toklas, 1933.

9.10.23

L’art ne reproduit pas le visible, mais rend visible.

Paul Klee, Confession d’un créateur, 1920.

Réflexion

Paul Klee ne faisait pas partie des habitués de la maison. Pourtant, les peintres, chez Gertrude Stein, ne manquaient pas : Picasso bien sûr, Cézanne, Juan Gris, Braque, d’autres encore, des Américains dont j’ai oublié le nom, des génies qui venaient avec leurs épouses et d’autres peintres qui n’étaient pas des génies mais qui venaient quand même avec leurs épouses, et aussi des peintres qui ressemblaient à l’oncle d’un roi, des peintres calmes et plaisants et gentils et irresponsables, mais ces adjectifs conviennent-ils à Paul Klee, je l’ignore, je ne sais rien de la vie de Paul Klee, je sais seulement que cette phrase, l’art ne reproduit pas le visible, l’art rend visible, sonne profondément juste, c’est la phrase d’un génie qui aurait eu toute sa place, avec son épouse de génie, chez Gertrude Stein, et que Paul Klee assurément avait plus de génie que n’importe quel oncle de n’importe quel roi, parce qu’il faut quand la trouver, cette phrase : l’art ne reproduit pas le visible, l’art rend visible. Ça n’a l’air de rien, une phrase comme celle-là, un peu comme le style de Gertrude Stein, mais tout est dit en si peu de mots qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter le moindre commentaire.


8.10.23

Un paysan qui commence à sentir la nécessité de l’instruction, devient le plus souvent un calculateur féroce.

Émile Zola, La Fortune des Rougon, 1871.

7.10.23

Près de la ville de Sechele, il y a un trou si profond qu’on n’entend jamais la chute des pierres qu’on y lance ; c’est au fond de cette cavité que vivaient les premiers hommes et les premiers animaux ; par la suite du manque de place, ils se querellèrent et les hommes commencèrent à chasser les animaux dehors ; une fois sortis, tous se mirent à mourir, alors que, dans le trou, ils étaient immortels ; une nuit, il fit si froid que les hommes allumèrent un feu, ce qui effraya les animaux ; ceux-ci, qui jusque-là parlaient, perdirent la parole et s’enfuirent ; désormais, seuls les animaux domestiques restent avec l’homme près du feu.

Récit Sân du Botswana, repris par Jean-Loïc Le Quellec, La caverne originelle, Art, mythes et première humanités, 2022.

6.10.23

Les français ont une telle habitude des révolutions, ils en ont tant eu, que lorsqu’il se passe quoi que ce soit il pensent et disent immédiatement, révolution.

Gertrude Stein, L’autobiographie d’Alice B. Toklas, 1933.

5.10.23

Une langue ne peut pas et n’a pas à être protégée dans un zoo ou dans un musée. Il n’existe donc qu’une seule manière de “massacrer” une langue : c’est de ne pas l’utiliser et de ne plus la transmettre.

Les linguistes attérés, Le français va très bien, merci, 2023.

4.10.23

Le snobisme n’est jamais qu’une phobie qui cherche une esthétique.

Yannick Haenel, Charlie Hebdo, 12 juillet 2023.

3.10.23

Le baiser frappe comme la foudre, l’amour passe comme un orage, puis la vie, de nouveau, se calme comme le ciel, et recommence ainsi qu’avant. Se souvient-on d’un nuage ?

Guy de Maupassant, Pierre et Jean, 1888.

2.10.23

Il avait un gros ventre de boutiquier, rien qu’un ventre où semblait réfugié le reste de son corps, un de ces ventres mous d’hommes toujours assis, qui n’ont plus ni cuisses, ni poitrine, ni bras, ni cou, le fond de leur chaise ayant tassé toute leur matière au même endroit.

Guy de Maupassant, Pierre et Jean, 1888.

1.10.23

Un petit artiste a tout le malheur tragique et les chagrins du grand artiste et il n’est pas un grand artiste.

Gertrude Stein, L’autobiographie d’Alice B. Toklas, 1933.

30.09.23

Il y a, dans tout, de l’inexploré, parce que nous ne sommes habitués à ne nous servir de nos yeux qu’avec le souvenir de ce qu’on a pensé avant nous sur ce que nous contemplons. La moindre chose contient un peu d’inconnu. Trouvons-le.


Guy de Maupassant, Le roman, préface de Pierre et Jean, 1887.

Réflexion

Un peu d’inconnu ou beaucoup, un petit ou un grand artiste, un ventre gros, un ventre plat, un baiser (puis la nuit), un peu de snobisme, une langue qu’on massacre en ne la parlant pas, une révolution avortée, un mythe très ancien, un paysan qui calcule, voilà ce qui surnage de début d’octobre où l’été n’en finit pas. Choisir ? Juste une question, celle que pose Maupassant : se souvient-on d’un nuage. Les ciels films désespérant de bleu. Peut-être serait-il temps de retourner vivre sous terre.


29.09.23

C’était l’été des catastrophes. Et personne ne s’émouvait. Comment la jeunesse, qui n’avait pas appris à écouter les oiseaux, pourrait-elle regretter leur musique ? Pareil pour les papillons. Ils ne seraient aux yeux des nouveaux enfants rien de plus que les minuscules dinosaures volants du monde qui avait précédé le leur. Il me semblait entendre s’élever de la terre un immense Offices des morts. Que personne n’entendait.

Claudie Hunziger, Les Grands Cerfs, 2019.

28.09.23

Des vêtements, des chaussures, des paquets, des valises, des malles, des cantines, des sacs, des colis, des musettes, des sacoches, de la ficelle, du fil de fer, des ceinturons, des caisses, des paniers, des valises, des malles, des paquets, des cantines, des sacoches, des colis, des sacs, au bout des bras, sur les épaules, dans le dos, autour de la taille des enfants, suspendus par des cordes, pêle-mêle, sens dessus dessous, entassés à la va-vite, ramassés dans la peur, de tout, de l’utile, du superflu, des colis, des paquets, des valises. 

Louis Calaferte, C’est la guerre, 1993.

Réflexion

L’été des catastrophes, juin 40, puis désormais tous les étés. L’exode, la fuite, la route où Calaferte, ébahi, ne sait plus où donner de l’œil, tant elle encombre tout, la catastrophe. Et nos étés, comparés à juin 40, est-ce que vraiment ce sont des catastrophes ? La disparition des oiseaux, celle des papillons ? Presque rien face à la guerre. Et pourtant : le silence de cette catastrophe, la nôtre, c’est le silence de la nature qui meurt. Et personne ne s’en émeut.


27.09.23

D’un seul commandement que je fais aux trois Parques, 

Je dépeuple l’État des plus heureux monarques ; 

Le foudre est mon canon, les Destins mes soldats : 

Je couche d’un revers mille ennemis à bas. 

D’un souffle je réduis leurs projets en fumée ; 

Et tu m’oses parler cependant d’une armée ! 

Pierre Corneille, L’Illusion comique, 1639.

26.09.23

Mais c’est toujours la même maison. Ou alors le même rêve de maison. Une sorte de chimère. Un être composite qui revient de rêve en rêve, toujours le même et chaque fois différent. Un archétype de maison remonté de l’inconscient. On invente seulement à partir de ce lieu-là, très profond. Toutes nos fictions viennent de là. Tous nos romans.

Claudie Hunziger, Les Grands Cerfs, 2019.

25.09.23

Si on ne sait pas où ils s’arrêteront, c’est parce qu’ils ne s’arrêteront pas. D’où l’invention, providentielle pour eux, de l’expression “développement durable”. Qui n’a jamais signifié qu’une chose : un développement appelé à durer. Jusqu’au bout.

Fabrice Nicolino, Charlie Hebdo, 5 juillet 2023.

24.09.23

C’était un petit appartement de célibataire de la rue des Martyrs. La pièce était pleine d’un grand nombre de jeunes petits messieurs. Qui, demandai-je à Fernande, sont tous ces petits hommes. Ce sont des poètes répondit Fernande. J’étais stupéfaite. Je n’avais jamais vu de poètes jusque-là, un poète oui mais des poètes non.

Gertude Stein, L’autobiographie d’Alice B. Toklas, 1933.

23.09.23

Dès lors que la survie des membres de la société n’est plus assurée, que la réduction de l’habitabilité de la Terre est même organisée et promue, le contrat social est rompu et chacun recouvre sa liberté naturelle.

Dominique Bourg et Johann Chapoutot, “Chaque geste compte”, Manifeste contre l’impuissance publique, 2022.

22.09.23

Ce mourant était le seul personnage vivant de cette scène étrange. Les autres étaient d’inexistantes silhouettes. Il était seul à exister vraiment.

Agatha Christie, Le Vallon, 1946.

21.09.23

Nos très lointains descendants qui classeraient, après quelque catastrophe nucléaire ou autre, dans les ruines des nos cathédrales, les restes ronds et pleins, les bénitiers par exemple, côté femelle et les débris verticaux pointus, tels les crucifix, côté mâle n’apprendraient pas grand-chose sur le génie du christianisme.

Michel Grangeon, “Lacan préhistorien amateur avisé”, Essaim 2, 2005.

20.09.23

La dynamique du système Terre avec ses équilibres s’oppose frontalement à la logique du recul indéfini des limites de la nature, comme à la croissance infinie des flux d’énergie et de matière qui sous-tend la croissance économique. Soit nous y renonçons, soit nous disparaîtrons, entraînant dans notre sillage une part croissante du vivant sur Terre.

Dominique Bourg et Johann Chapoutot, “Chaque geste compte”, Manifeste contre l’impuissance publique, 2022.

19.09.23

Diverses langues et horribles jargons,
mots de douleur, accents de rage,
voix fortes, rauques, bruits de mains avec elles,
faisaient un fracas tournoyant
toujours, dans cet air éternellement sombre
comme le sable où souffle un tourbillon.

Dante Alighieri, La Divine Comédie, L’Enfer, XIVème siècle.

Réflexion

De l’enfer de Dante au Matamore de Corneille, cette dernière livrée de citations décrit trop bien l’état du monde et l’état de ceux (très peu celles) qui le « gouvernent » (si peu et si mal), ce monde, un monde aux accents de rage, un monde de croissance assassine, un monde de ruines en gestation, un monde mourant où d’inexistantes silhouettes empêchent les vivants de vivre, un monde bientôt inhabitable, un monde sans contrat social, un monde où les poètes sont de petits messieurs que personne ne remarque, un monde de développement faussement durable et vraiment dur, un monde-maison qui reste à l’état de rêve, un monde qu’il faudrait dépeupler de ses plus heureux monarques (ces types qui sourient sur les affiches, il s’en rendent compte, de l’état du monde ?).


18.09.23

Je me suis assise avec tant d’épouses de génies. Je me suis assise avec des épouses qui n’étaient pas des épouses, de génies qui étaient de vrais génies. Je me suis assise avec de vraies épouses de génies qui n’étaient pas de vrais génies. Je me suis assise avec des épouses de génies, de quasi-génies, d’aspirants-génies, en bref je me suis très souvent et très longuement assise avec de nombreuses épouses et avec les épouses de nombreux génies.

Gertrude Stein, L’autobiographie d’Alice B. Toklas, 1933.

17.09.23

Elle me flattoit, me chatouilloit, me tastonnoit, me testonnoit, me baisoit, me accolloit, & par esbattement me faisoit deux petites cornes au dessus du front.

François Rabelais, Le Tiers Livre, 1546.

Réflexion

Les épouses des génies rendent-elles les génies cocus ? Panurge semble en douter malgré l’évidence et Picasso aurait tendance à cocufier plus qu’à rendre cocu, même si Alice B. Toklas, sous la plume de Gertrude Stein, ne comprend rien à la génialité de l’épousaille et ne testonne ni ne tastonne les épouses des génies qui l’entourent. Quant à moi, n’étant pas un génie, je n’ai pas trouvé d’épouse.  


16.09.23

Bibit hera, bibit herus, bibit miles, bibit clerus, bibit ille, bibit illa, bibit servus cum ancilla, bibit velox, bibit piger, bibit albus, bibit niger, bibit constans, bibit vagus, bibit rudis, bibit magus. Bibit pauper et egrotus, bibit exul et ignotus, bibit puer, bibit canus, bibit presul et decanus, bibit soror, bibit frater, bibit anus, bibit mater, bibit iste, bibit ille, bibunt centum, bibunt mille.

Anonyme, Carmina Burana, entre 1225 et 1250.

15.09.23

La teste perdue, ne perist que la persone : les couilles perdues, periroit toute l’humaine nature.

François Rabelais, Le Tiers Livre, 1546.

14.09.23

C’étaient les derniers jours de la guerre mondiale. Le dernier peut-être, c’est possible. Il avait attaqué une batterie allemande. Pour rire. Comme il avait tiré sur leur batterie, les Allemands avaient répliqué. Ils ont tiré sur l’enfant. Il avait vingt ans.  

Marguerite Duras, La mort du jeune aviateur anglais, 1993.

13.09.23

Ils passaient lentement, vêtus de soleil ; ils étaient le soleil lui-même. Les fleurs, penchées, les adoraient.  

Émile Zola, La Faute de l’abbé Mouret, 1875.

12.09.23

Parfum, jeune fille, harmonie… 

Le bonheur passait, — il a fui !

Gérard de Nerval, Odelettes, 1863.

11.09.23

Merde le Silence… Chiotte la vadrouille ! Il faudrait reprendre toute l’enfance, refaire le navet du début ! L’empressé ! Ah ! la sale caille ! la glaireuse horreur !… l’abjecte condition ! Le garçon bien méritant ! Cent mille fois Bonze ! Et Rata-Bonze ! j’en pouvais plus d’évocations !… J’avais la gueule en colombins rien que de me représenter mes parents !

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

10.09.23

Ils racontent aux étrangers des anecdotes sur notre petite enfance, dans lesquelles nous ne retrouvons rien de ce que notre souvenir a gardé. Ils nous calomnient. On dirait même parfois qu’ils ont pris, pour nous les attribuer, des mots d’enfants qu’ils ont lus dans des livres.

Valéry Larbaud, Enfantines, 1918.

9.09.23

À la surface flottaient ces insectes qui sont faits d’un trait horizontal porté sur six minces pattes. Ce sont peut-être des bâtons d’écriture qui se sont échappés des cahiers de l’école. Ils savent bien leur système métrique, et ne manquent jamais de l’appliquer : même lorsqu’on les poursuit ils n’oublient pas de compter les centimètres qu’ils parcourent à la surface de l’eau.

Valéry Larbaud, Enfantines, 1918.

8.09.23

La pire souffrance, plus que tout, même d’être infirme où j’étais pourtant bien comblé, même de la défense misérable où je tenais plus l’air qu’à un fil, l’atroce qui rend l’avenir encore plus aride et coupant que le couperet dans l’aube, c’est qu’on aura pas trouvé les deux, la forme et le fond, pour donner aux autres la chanson, pour leur rendre avant qu’on crève soi toute cette infection et cette bouze toute divine et bien aimable, le si tendre, le chaud, jusqu’au cœur même et plus près encore du pire moment des choses.

Louis-Ferdinand Céline, Londres, vers 1934 (publié en 2022).

7.09.23

Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en auto, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux !

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.

6.09.23

On croirait que l’ancien monde finit, et que le nouveau monde commence. Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. Il ne me reste qu’à m’asseoir au bord de ma fosse : après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans l’éternité.  

François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1849.

5.09.23

Les lueurs roses qui traînent encore à l’horizon comme l’agonie du jour sous l’oppression victorieuse de sa nuit, les feux des candélabres qui font des taches d’un rouge opaque sur les dernières gloires du couchant, les lourdes draperies qu’une main invisible attire des profondeurs de l’Orient, imitent tous les sentiments compliqués qui luttent dans le cœur de l’homme aux heures solennelles de la vie.  

Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869.

4.09.23

On est puceau de l’Horreur comme on est puceau de la volupté.

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.

3.09.23

Quand tous furent esveillez, il dist. Messieurs l’on dict, que matines commencent par tousser, & souper par boyre. Faisons au rebours, commenczons maintenant noz matines, par boyre, & de soir à l’entrée du souper nous tousserons à qui mieulx mieulx.

François Rabelais, Gargantua, 1534.

Réflexion

Avec la rentrée, la réflexion s’estompe. On continue certes à grapiller des citations comme on peut, dans les livres qu’on lit moins, dans les textes qu’on tente de transmettre, dans la musique qu’on chante, mais peut-on réfléchir à partir de quatorze extraits qui certes parfois se ressemblent (il y a quatre fois Céline, deux fois Rabelais, et, parce qu’à la rentrée on redevient un peu enfant, deux petit bout de ces charmantes Enfantines de Valéry Larbaud) mais qui convoquent le ban et l’arrière-ban de la littérature, ceux des exercices sur les champs lexicaux, la connotation, la situation d’énonciation, les Baudelaire, Chateaubriand, Nerval, Zola, réduits à des échantillons scolaires qu’on effleure trop brièvement.

Élire un extrait ? Une seule femme parmi les auteurs choisis et des propos d’hommes bien couillus (Rabelais et Céline ne font pas dans la dentelle et certes Nerval et Zola évoquent des amours plus pures mais dont on sait bien qu’elles meurent à peine nées, et dans la taverne chantée hier soir ce mot bibit on ne peut s’empêcher d’y entendre ce qu’on y entend). Alors oui, l’extrait qu’on retient, c’est celui de Marguerite Duras (comment faire comprendre à mes élèves que non, ce n’est pas mal écrit, c’est le même problème qu’avec Annie Ernaux) parce que (ajoutons une citation aux citations) (mais le livre est resté à l’école et citer Marguerite Duras ne peut se faire de manière approximative) mourir à vingt ans, non, ça ne devrait jamais arriver, on ne descend hardiment dans l’éternité (avec ou sans crucifix) que si l’on est un vieux grigou à la Chateaubriand, pas quand on est l’un de ces enfants rêveurs de Valéry Larbaud.


2.09.23

Elle commençait à raconter. Elle voulait nous lire mot à mot… Ils étaient terribles ses doigts… c’était comme des rais de lumière, sur chaque feuillet à passer… Je les aurais léchés… je les aurais pompés… J’étais retenu par le charme…

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

1.09.23

La lecture est une amitié.

Marcel Proust, Sur la lecture, 1906.

31.08.23

Quand elle passait d’une pièce à l’autre, ça faisait comme un vide dans l’âme, on descendait en tristesse d’un étage plus bas…

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

30.08.23

En somme, la connerie humaine est infinie, c’est elle qui permet de vendre 500 euros un tee-shirt où il est écrit “Dior j’adore”, tandis que son cousin germain orné d’un joli “Bricorama” sera regardé avec dédain.

Guillaume Erner, Charlie Hebdo, 7 juin 2023.

29.08.23

Tout ce qui trouble l’écho ne peut être qu’abominable.

Louis-Ferdinand Céline, Londres, vers 1934 (publiée en 2022).

28.08.23

Travailler à l’école pour passer son bac avant le grand emballement du climat, puis se retrouver au chômage parce qu’un robot sera assis à votre place, on fait mieux comme projet de vie ! Il n’est pas si étonnant que certains décrochent.

Philippe Bihouix, Karine Mauvilly, Le désastre de l’école numérique, Plaidoyer pour une école sans écrans, 2016.

Réflexion

La lecture est une amitié, écrivait Marcel Proust. C’est l’une des citations que je propose à mes élèves en début d’année (une autre, c’est la lecture encombre la mémoire et empêche de penser, H.G. Wells). Qu’est-ce que cela signifie ? De quels livres peut-on être les amis ? De quels auteurs ?

Prenons Céline. Assurément, ce sale type, on n’en voudrait pas comme ami dans la vraie vie, mais quelqu’un qui écrit que tout ce qui trouble l’écho ne peut être qu’abominable, on a quand même envie de le connaître, peut-être pas, comme Ferdinand quand une belle Anglaise lui fait la lecture, de lui lécher les doigts, qu’on imagine crasseux, mais mine rien, le charme retient, et penser à ce que deviendra l’auteur de Mort à crédit quelques années plus tard, ça fait comme un vide dans l’âme et c’est la preuve — comme on l’avait pressenti en lisant Voyage au bout de la nuit — qu’en effet la connerie humaine est infinie.

L’école et la lecture peuvent-elles nous sauver de la connerie et du bruit du monde (le bruit des bottes, le grand emballement du climat, tout ce qui trouble l’écho) ? En ce début d’année scolaire, il faut s’accrocher à cet espoir pour inventer en amitié avec les jeunes des projets de vie qui dépassent le Dior j’adore et qui projettent comme des rais de lumières, sur chaque feuillet à passer…


27.08.23

L’étude des mythes contant comment les femmes, autrefois maîtresses de la culture et propriétaires du feu, de la musique et des masques, en furent dépossédées par les hommes montre à l’envi que la fonction essentielle de ces récits est systématiquement de renvoyer le pouvoir des femmes dans un lointain passé, à seule fin d’assurer une domination masculine bien actuelle.

Jean-Loïc Le Quellec, La caverne originelle, Art, mythes et premières humanités, 2022.

26.08.23

Bien loin de jouer un rôle protecteur ou amortisseur des chocs que nos sociétés ne cessent d’encaisser dans un monde globalisé, numérisé et précarisé, l’école, dans son projet numérique, se propose rien moins que d’accélérer le mouvement.

Philippe Bihouix, Karine Mauvilly, Le désastre de l’école numérique, Plaidoyer pour une école sans écrans, 2016.

25.08.23

On manquerait de rien. J’aurais pas crevé la misère et de mille angoisses encore, et la soumission merdeuse, j’aurais pas pué l’esclave peut-être encore vingt ans de plus à mille trois cents connards bâtés et crapules tarabiscotées, barbus, glabres, baveux, sanieux, fielleux, patrons, maîtres de ceci, de tout, méticuleux, abrutis, foutres pourris de bites molles, décorés de tous les airs du trou du cul, pour finir à bout de dents, de cheveux et de gaule, grisonnant fumier d’incroyables larves.

Louis-Ferdinand Céline, Londres, vers 1934 (publiée en 2022).

24.08.23

Ce ne sont pas les censeurs qui manquent et, bien qu’ils puissent avoir des priorités différentes, ils veulent tous, au fond, la même chose : que vous voyiez le monde comme eux le voient… ou au moins que vous la fermiez sur ce que vous ne voyez pas comme eux.

Stephen King, Écriture, mémoires d’un métier, 2000.

Réflexion

Ne pas voir le monde comme tout le monde, voilà ce que les censeurs refusent.

Censeurs bienséants qui trouvent que quand même Céline ça pue (et parfois oui, lire Céline ne se peut que le nez bouché) et que la soumission n’est jamais (ils ajoutent des guillemets que nous refusons) merdeuse et que la littérature, la grande, ne saurait tolérer des choses telles que foutres pourris de bites molles, qu’il faut savoir se tenir, que cachez ce sein, patati, patata.

Censeurs hightechs qui ne jurent que par le numérique parce qu’on n’arrête pas le progrès et que le numérique c’est l’avenir et qu’on ne va pas contre l’avenir, même si l’avenir est apocalyptique (la fameuse croisade apocalyptique dans Voyage au bout de la nuit, désormais croisade virtuelle mais pas moins apocalyptique).

Censeuses (tiens, il semble que le mot n’ait pas de féminin, comme si seuls les hommes étaient capables de censure) du passé qui se raccrochent sans preuve à des mythes qu’elles inventent (la déesse primordiale, le matriarcat) sans voir qu’elles servent l’ennemi, puisque le pouvoir des femmes, selon les théories que démonte Jean-Loïc Le Quellec (comme il le fait pour bien d’autres interprétations de l’art pariétal), resterait à jamais cantonné dans le passé, alors que peut-être bien que c’est l’avenir, le pouvoir des femmes, un avenir peut-être moins apocalyptique que prévu.

Voir le monde autrement, le passé, le présent, l’avenir, l’inventer différent, sortir de l’esclavage par la liberté d’écrire ce que l’on veut, même si ça gratte, voilà la leçon. Quant aux censeurs, ce ne sont que connards bâtés et crapules tarabiscotées.


23.08.23

Lire pendant les repas passe pour grossier dans la bonne société, mais si vous voulez réussir comme écrivain, la grossièreté devrait être l’avant-dernier de vos soucis. Le dernier étant la bonne société et ses exigences formelles. Et si vous avez l’intention d’écrire avec autant de sincérité que vous pouvez, vos jours au sein de la bonne société sont de toutes les façons comptés.

Stephen King, Écriture, mémoires d’un métier, 2000.

22.08.23

C’est pas méchant un homme au fond, c’est acharné voilà tout. C’est fier de son rêve. C’est un poète bien marrant. C’est de voir comment qu’ils se démerdent pour ça, comment qu’ils ont honte d’être pris en train de faire leur merde de songes au fond des égouts. Étron du Joli, c’est le nom de l’Homme !

Louis-Ferdinand Céline, Londres, vers 1934 (publié en 2022).

21.08.23

Mais concluent ie dys & maintiens, qu’il n’y a tel torchecul que d’un oyson bien dumeté, pourveu qu’on luy tieigne la teste entre les iambes. Et m’en croyez suz mon honeur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirificque, tant par la douceur d’icelluy dumet, que par la chaleur tempérée de l’oizon, laquelle facillement est communiquée au boyau cullier & aultres intestines, iusque à venir à la region du cueur & du cerveau.

François Rabelais, Gargantua, 1534.

Réflexion

Les écrivains sont de grossiers personnages. Rabelais, Céline et Stephen King assurément. Étron du Joli (Céline est le digne descendant de Rabelais, un étron du Joli n’étant possible que le cul torché d’un oison bien dumeté), voilà le nom de l’écrivain ! Poète bien marrant ? Bien mieux que cela, parce que Rabelais a raison, la grossièreté, quand elle se confond avec la volupté mirificque, ça vous monte à la tête et ça vous tient le cœur au chaud. Alors quoi ? Lire Rabelais et Céline la bouche pleine ? Les savourer comme un gueuleton dont on sait où il va finir sa course et savourer d’avance notre merde de songe au fond des égouts (et tant pis pour la bonne société qui jamais ne se torche le cul qu’avec du vulgaire — la grossièreté n’a rien à voir avec la vulgarité — papier qui pourrait servir à écrire).


20.08.23

L’une la nommoit ma petite dille, l’aultre ma pine, l’aultre ma branche de coural, l’aultre mon bondon, mon bouchon, mon vilebrequin, mon possouer, ma teriere, ma petite andouille vermeille, ma petite couille bredouille.

François Rabelais, Gargantua, 1534.

19.08.23

Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,

Sur le sombre océan jette le sombre oubli.

Victor Hugo, Oceano Nox, 1836.

18.08.23

La vie est une couette qu’il faut mettre en sa housse.

Juliette, La housse et la couette, 2023.

17.08.23

Ils chantent en chœur… tout à fait faux… C’est étonnant comme ils arrivent à se torturer toute la bouche, la dilater, l’évaser comme un véritable trombone… Ils en agonisent…

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

Réflexion

Chanter, déclamer, donner des jolis noms à d’aimables objets en forme de trombone, réunir pour le plaisir Louis-Ferdinand Céline (de Mort à crédit on pourrait citer tout) et Juliette (un couple pareil, c’est un peu cette impossible union de la couette et de la housse (traduction : du duvet et de la fourre) dans le dernier single de la ma chanteuse préférée) et surtout réentendre la voix de Marie qui à cent ans déclamait avec passion ces vers de Victor Hugo, par cœur bien sûr, et surtout avec cœur, alors que le temps aurait pu jeter sur le sombre océan de sa vie son sombre oubli, mais la vie n’est pas un océan, la vie est un duvet qu’il faut mettre en sa fourre (et sous la fourre, on trouvera sans doute quelques petites andouilles vermeilles et quelques petites couilles pas toujours bredouilles, parce que Rabelais, ça ne vieillit pas et ça chante toujours plus juste que ces drôles d’English qui agonisent devant Ferdinand).


16.08.23

Je suis né en 1947 ; nous n’avons eu notre premier poste de télévision qu’en 1958. La première chose que je me rappelle avoir vue, Robot Monster, était un film dans lequel un type déguisé en singe, un bocal à poissons rouges sur la tête (il s’appelait Ro-Man), courait partout, à la recherche des derniers survivants d’une guerre nucléaire. Pour les tuer. Je trouvai que c’était du grand art.

Stephen King, Écriture, mémoires d’un métier, 2000.

15.08.23

Il y eut un bruit à l’intérieur de ma tête, une sorte de baiser sonore. Un fluide chaud s’écoula de mon oreille, comme si je me mettais à pleurer par le mauvais trou.

Stephen King, Écriture, mémoires d’un métier, 2000.

Réflexion

Découvrir Stephen King par son écriture de l’écriture plutôt que par ses romans (je crois me souvenir d’avoir essayé d’en lire un il y a très longtemps mais je confonds peut-être), qu’est-ce que ça change à la lecture de Stephen King ? Y répondre sans avoir lu ses romans n’a aucun sens (j’en ai emprunté un à la bibliothèque, ça s’appelle L’institut) mais que penser, simplement à la lecture de ces deux citations du type qui les signe ? L’otite pizza (j’apprends ce nom par ma bibliothécaire), le baiser sonore, pleurer par le mauvais trou, tout cela indique un certain sens de la métaphore, mais cette histoire de type déguisé en singe, un bocal à poison rouge sur la tête, me donne l’image d’un joyeux plaisantin (même si c’est sur fond d’apocalypse nucléaire) bien éloignée de l’horreur que je croyais la marque de fabrique de Stephen King. Ce qui est certain, c’est le grand art ne se cache pas toujours là où on pense. À suivre…


14.08.23

Pensez donc : une jeune fille qui meurt, une autre qu’on considère perdue et qui revient de la mort, le tout dans le cadre d’un concours de miss d’une ville qui n’existe même pas vraiment. Les articles ne manquent pas de détails sur ce décor factice qui s’enroule, maléfique, autour des corps innocents.

Olivier Hodasava, Une ville de papier, 2021.

13.08.23

Et ce pendant il petoit comme ung roussin, & les femmes se ryoient luy disant, comment : vous petez Panurge ? Non fois, disoit-il, madame : mais ie accorde au contrepoint de la musicque que sonnez du nez.

François Rabelais, Pantagruel, 1532.

12.08.23

L’univers, pour lui, n’était plus qu’un énorme acide… Il avait plus qu’à essayer de devenir tout “bicabornate”… Il s’évertuait toute la journée, il en suçait des brouettes… Il arrivait pas à s’éteindre ! Il avait comme un tisonnier en bas de l’œsophage qui lui calcinait les tripes… Bientôt, il serait plus que des trous… Les étoiles passeraient à travers avec les renvois.

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

11.08.23

Elle pousse des petits cris-cris… Ça cocotte la merde et l’œuf dans le fond, là où je plonge… Je suis étranglé par mon col… le celluloïd… Elle me tire des décombres… Je remonte au jour… J’ai comme un enduit sur les châsses, je suis visqueux jusqu’aux sourcils…

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

Réflexion

Céline, Rabelais, Hodasava. Trois mondes, mais le corps, toujours, le corps souffrant, le corps obscène, le corps mort. Corps d’hommes et corps de femmes (objets, les corps de femmes, chez Céline, chez Rabelais, dans ce concours de miss Rosamond que raconte Olivier Hodasava). Pourquoi sont-ce ces mots du corps que j’ai relevés ? Pourquoi ce qui cocotte la merde, ce qui calcine les tripes, ce qui sonne du nez, ce qui s’enroule autour des corps innocents ? Corps de papier comme la ville de papier d’Hodasava, ville qui n’existe pas mais où l’on meurt foudroyé quand même, comme Panurge qui, tout compte fait, n’a jamais existé. Les corps de papier existent-ils ? Il faudrait pour cela les toucher, mais la foudre, mais le pet et la merde, mais surtout ce corps qui ne serait que plus que des trous, comme si le corps, enroulé dans le décor factice du livre, se rongeait lui-même, corps-bicabornate, corps-décombres, corps contrepoint de sa propre disparition, comme disparait cette ville de Rosamond, dans le Maine, qui n’a jamais existé que sur une carte et qui pourtant, comme les corps de papier, semble plus réelle que bien des corps réels.


10.08.23

Sûrement qu’elle avait l’âme arrivée au bord des trous, une âme c’est trop triste, c’est prêt à tomber dans la vie. Pour un peu je la recevais dans les mains. Ça m’a fait peur d’une manière. Je voulais lui repousser son âme dans le corps.

Louis-Ferdinand Céline, Londres, vers 1934 (publié en 2022).

9.08.23

Les mots jouaient. Violer, voler, dérober ou voltiger. Les oiseaux, encore. Il alluma sa lanterne et écrivit au bas de la feuille : Violer, voler, dérober, voltiger, les oiseaux.

Fred Vargas, Quand sort la recluse, 2017.

8.08.23

Chaque canon qui sort d’usine, chaque vaisseau de guerre qu’on lance, chaque fusée qu’on tire, signifie – en fin de compte – un vol au détriment de ceux qui ont faim et n’ont pas à manger, de ceux qui ont froid parce qu’ils ne sont pas suffisamment vêtus.

Dwight D. Eisenhower, discours “The Chance for Peace”, 1953.

7.08.23

On ne se borne plus à détruire le présent, on s’en prend au futur. On tue pour demain, comme si l’on redoutait que les générations futures soient incapables d’accomplir cette tâche.

Bernard Clavel, Le massacre des innocents, 1970.

Réflexion

Détruire, essayer d’éviter la destruction, détruire quand même. Bernard Clavel parle des enfants morts à la guerre. On jurerait qu’il parle de la planète. Et le président Eisenhower, militaire de carrière, semble le plus pacifiste des pacifistes. Et pourtant… Violer, voler, dérober, voltiger, tout revient à ça, au vol, on vole les enfants, les enfants s’envolent, on voudrait leur repousser l’âme dans le corps mais l’âme s’envole, et celui qui la reçoit dans ses mains, cette âme, le gentil docteur qui tente de les sauver, ces enfants, ce n’est plus Edmond Kaiser, le saint, c’est Louis-Ferdinand Céline, le salaud, et il semble que le monde encore une fois tourne sens dessus dessous, l’énigme reste insoluble. Le commissaire Adamsberg a beau noter ce qu’il veut au bas de la feuille, même les écrits s’envolent.


6.08.23

Dans un coin, trois enfants morts. Des berceaux qui ne bercent plus les enfants morts qui sont dedans.

Edmond Kaiser, lettre à Bernard Clavel, Hôpital de My-Tho (Viêt-nam), 26 octobre 1965, reprise dans Le massacre des innocent, 1970.

5.08.23

On a beau parcourir la terre et la mer par tous les rivages, qui peut connaître toute la diversité de la nature humaine ?

Pétrarque, Canzoniere, poème CCVII, 14ème siècle.

4.08.23

Les malheurs ça se fatigue aussi…

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936.

3.08.23

C’est la vie des enfants que le cantonnier pousse au ruisseau chaque matin, et l’eau claire qui débarbouille le bitume efface les traces de leur agonie comme l’indifférence nettoie la conscience du monde.

Bernard Clavel, Le massacre des innocents, 1970.

Réflexion

Confronter Charles-Ferdinand Céline à Edmond Kaiser, par l’entremise de Bernard Clavel, affronter cette diversité de la nature humaine dont parle Pétrarque : est-ce que vraiment les malheurs ça se fatigue ? est-ce que le malheur des enfants ça se fatigue ? est-ce que c’est parce que les malheurs ça se fatigue que l’indifférence nettoie la conscience du monde ? Surtout : face aux malheurs, que faire ? Là encore : diversité de la nature humaine. Les salauds (Céline) et les saints (Kaiser). Terre des hommes, terre des femmes (l’adorée chez Pétrarque, les souillées chez Céline), mais d’abord terre des enfants : les enfants morts, les pousser dans un coin ? Ils n’en demeurent pas moins morts et les malheurs (c’est après la mort de son fils qu’Edmond Kaiser s’engage) ne se fatiguent qu’à condition qu’on leur substitue des bouts de bonheur (Edmond Kaiser, en parcourant la terre et la mer par tous les rivages, sauve des enfants, c’est sa façon de fatiguer son malheur).


2.08.23

A Mars comme bourreaux, meurtriers, adventuriers, brigans, sergeans, records de tesmoings, gens de guet, mortepayes, arracheurs de dens, coupeurs de couilles, barberotz, bouchiers, faulx monnoieurs, medicins de trinquenique, tacnins & marranes, renieurs de dieu, allumetiers, boutefeux, ramonneurs de cheminée, franctaupins, charbonniers, alchimistes, coquassier, grillotiers, chercuitiers, bimbelotiers : manilliers, lanterniers, maignins feront ceste année de beaux coups, mais aulcuns d’iceulx seront fort subiectz à recepvoir quelque coup de baston à l’emblée. Un des sudictz sera ceste année faict evesque des champs donnant la benediction avec les pieds aux passans.

François Rabelais, Pantagrueline Prognostication, 1533.

1.08.23

La véritable prudence est de voir dès le commencement d’une affaire quelle doit en être la fin.

– Une nouvelle citation. On se sort de tout, avec une citation. Surtout quand on en connaît mille.

Fred Vargas, Quand sort la recluse, 2017 (citant dans la première réplique un proverbe oriental).

31.07.23

C’est des gens de l’ombre, qu’on ne montre pas, on allume à peine l’ampoule, ils se coincent le cul au chaud dans la banquette. Ils restent à ruminer pendant des heures, dans le grand bien-être d’être encore plus saouls que dégueulasses.

Louis-Ferdinand Céline, Londres, vers 1934 (publié en 2022).

30.07.23

Charles III sur son trône ressemble à ces ours de foire exhibés devant la foule, qu’on fait se dresser sur leurs pattes arrière pour leur donner une silhouette vaguement humaine et qu’on fait asseoir sur une chaise comme un roi déchu qui n’a pas encore compris qu’il ne fait plus peur à personne.

Riss, Charlie Hebdo, 3 mai 2023.

29.07.23

Celui qui peut dire comment il brûle, ne brûle que d’un feu médiocre.

Pétrarque, Canzoniere, poème CLXX, 14ème siècle.

28.07.23

L’obscurité des siècles précédents, peu à peu repoussée de l’appareil sur trépied chez le photographe à la caméra numérique dans la chambre à coucher, allait disparaître pour toujours. Nous étions à l’avance ressuscités.

Annie Ernaux, Les Années, 2008.

27.07.23

Énigme que cette voix intérieure qui donne à entendre des mots balbutiés, à peine audibles, mais qui émanent du plus originel.

Charles Juliet, Le jour baisse, Journal X, 2009-2012, 3 août 2011.

26.07.23

L’image qu’elle a de son livre, tel qu’il n’existe pas encore, l’impression qu’il devrait laisser, est celle qu’elle a gardée de sa lecture d’Autant en emporte le vent à douze ans, plus tard d’À la Recherche du temps perdu, récemment de Vie et destin, une coulée de lumière et d’ombre sur des visages.

Annie Ernaux, Les Années, 2008.

Réflexion

Recueillir dans mes lectures des extraits, les appeler citations, les proposer au monde, les garder anonymes le premier jour. Un concours ? Certes un peu, mais plus que cela. Essorer les textes pour en extraire l’élixir, le coup de poing, l’éclat de rire. Après huit jours, m’interroger sur pourquoi ces extraits-là et sur ce qu’ils me font, ces bouts de textes, et sur ce que citer change à la lecture.

Huit citations, sept autrices ou auteurs : Annie Ernaux (deux fois), Charles Juliet, Pétrarque, Riss, Louis-Ferdinand Céline, Fred Vargas, François Rabelais. Éparpillement ? Certes, mais des fils se tendent, entre Pétrarque et Charles Juliet, entre Rabelais et Céline, deux fils qui se croisent, qui se coupent, ceux qui cisèlent en quête d’une langue simple contre ceux qui s’éclatent, se lâchent, s’amusent, exagèrent. Les ciseleurs de simplicité : Juliet, Pétrarque, Ernaux, Vargas. Les éclateurs de langage : Rabelais, Céline, Riss. Et moi, lecteur, dans quel camp ? Dans les deux, alternativement, dans l’émerveillement des phrases de peu qui disent tant puis dans la joie du langage qui se libère. Lire pour dire, lire pour rire. En choisir une seule, de citation ? Non, en garder deux (mais les autres, ne pas trop vite les oublier). D’abord la plus profonde (celle qui se rapproche le plus de l’essence même de lire, et d’écrire) : Énigme que cette voix intérieure qui donne à entendre des mots balbutiés, à peine audibles, mais qui émanent du plus originel. La langue de Charles Juliet, ce murmure, cette économie, ce silence (le plus originel, c’est le silence), pas un mot de trop, quête inlassable de l’essentiel (la voix intérieure) (pas celle qui parle, celle qui entend) (la voix qui entend). Mais, ce qui est étrange, c’est qu’en écrivant cela à propos d’un auteur classé taiseux, sérieux, voire mystique, les mots qui me viennent sont précisément ceux de l’auteur qui lui semble le plus opposé, parce que ce que cherche Charles Juliet, c’est la substantifique moelle de Rabelais, ce Rabelais qui invente la langue française, qui la savoure, qui la rend folle, qui nous donne à sucer (ne pas y voir un sens obscène, Rabelais n’est pas Céline) des mots aussi délicieux que ces barberotz ou ces chercuitiers, et voilà qu’on apprend quelque chose rien qu’en lisant ce mot tel qu’écrit jadis : la charcuterie, c’est l’art de la chair cuite (et les bouchiers, eux, s’occupent de chair crue) (et les barberotz, qui sont-ils ? des barbiers ?).

Le but de cette cueillette de citations ? Le commissaire Adamsberg a tort, on ne se sort pas de tout avec une citation, et pas question non plus d’en connaître mille. Mais partager des mots qui m’ont fait quelque chose (sans trop savoir quoi, parfois), peu importe s’ils sont d’un auteur célèbre ou inconnu (le concours, c’est juste pour attirer le chaland) et peu importe si les mêmes reviennent sans cesse alors que d’autres ne passent pas la rampe. Lire en cherchant des citations, ça peut être cruel pour certains livres.

Pierre Bergounioux : Signes extérieurs

Un petit livre pour traquer ces Signes extérieurs qui ouvrent à l’enfant l’idée d’un monde autre que celui où l’on reste enfermé, voilà un peu ce qu’est ce livre de Pierre Bergounioux publié en 2015 aux éditions Fata Morgana avec des dessins de Philippe Cognée.