Affinité avec Charles Juliet (4)

Ces temps, j’ai connu la joie, la plénitude, l’allégresse. C’est une expérience non moins éprouvante que celle de la souffrance.

8 décembre 1964

(sentir dans le fil de la lecture un homme naître à la vie) (percevoir aussi ce que cette naissance porte de renoncements) (faire le deuil de souffrir)

Nos terres (notaires)

Les familles s’entredéchirent devant le notaire. Nos terres soudain, ce sont mes terres. Je lis : Constitution de servitudes, avancement d’hoirie et partage. Ce n’est pas le français que je parle d’habitude. Je n’y comprends rien. Ce sera ma première fois devant notaire, la semaine prochaine.

Je lis :

De nouveau, M. Baillehache intervint. Et il leur expliqua que c’était un compte à faire, les gages d’un côté, la nourriture et l’entretien de l’autre. Il avait pris une plume, il essaya d’établir ce compte, sur leurs indications. Mais ce fut terrible. Françoise, soutenue par la Grande, avait des exigences, estimait son travail très cher, énumérait tout ce qu’elle faisait dans la maison, et les vaches, et le ménage, et la vaisselle, et les champs, où son beau-frère l’employait comme un homme. De leur côté, les Buteau, exaspérés, grossissaient la note des frais, comptaient les repas, mentaient sur les vêtements, réclamaient jusqu’à l’argent des cadeaux faits aux jours de fêtes. Pourtant, malgré leur âpreté, il arriva qu’ils redevaient cent-vingt-six francs. Ils en restèrent les mains tremblantes, les yeux enflammés, cherchant encore ce qu’ils pourraient déduire.

Emile Zola, La terre.

Quand il est question d’argent, chez les paysans de Zola, il n’est plus de lien familial qui tienne. J’en tremble : la semaine prochaine, les sommes en jeu, c’est un peu plus que cent-vingt-six francs.

Je lis : un nom, qui m’était jusqu’alors inconnu, Elise Francey, veuve de Benoît. Mon arrière-arrière-grand-mère. Elle achète la maison. La même que la semaine prochaine…

Affinité avec Charles Juliet (2)

Lire ceci, te dire que tu aurais pu (ou dû) l’écrire, et toi aussi t’adresser à toi-même comme à un ami :

Traîner dans les cafés, les gares, comme tu aimes tant, et surprendre un geste de tendresse, voir une femme se tendre vers un homme, une mère caresser son enfant, et tu te sens refusé, banni, tu songes, mais contre toute vérité, que tu n’as jamais eu droit à la tendresse. Mais que quelqu’un t’approche et tu te cabres, te rétractes… Alors ?

Charles Juliet, Ténèbres en terre froide, Journal I, 1957-1964 (7 octobre 1958)

Affinité avec Charles Juliet

Pétri de bonne volonté. D’un constant désir de bien faire. De se conformer à la norme. Il aime ses semblables et pour se sentir proche d’eux, s’applique à les imiter.

Le combat : c’est le titre. Avant le journal. Ténèbres en terre froide, Charles Juliet. J’ai à peine ouvert le livre et je me sens déjà en terre certes froide mais amie, en langage fait pour moi, en compagnonnage (j’ai tout le journal à découvrir, homme heureux que je suis).

Bourrasques, opaques journées torrides, froide lumière des étoiles la cohorte poursuit sa lente progression.

Perfection de la phrase, lire et se laisser emporter. On est dedans, la cohorte nous prend par la main.

Tempêtes, pesantes journées torrides, sèche lumière des étoiles. La lente et lasse cohorte poursuit sa lente reptation.

Variation du même et du beau : cette sèche lumière. Qu’écrire de plus ?

Aveugle, la cohorte. Se poursuit la millénaire errance.

Comme lire, comme écrire.

Aveugles au loin, la cohorte, l’errance ingouvernée. Et les bourrasques. Les lentes journées torpides. La froide lumière des étoiles.

Comme vivre.

Nature morte

“L’homme occidental s’est retranché de la nature et par conséquent du reste du monde animal.” lis-je dans La dimension cachée d’Edward T. Hall. Cela date de 1966. La nature s’est retranchée de l’homme occidental et par conséquent le monde animal crève et l’homme occidental avec et le monde entier crève parce que l’homme occidental s’est cru supérieur, parce qu’il s’est cru hors de la nature, et il le croit encore, il regarde le monde s’effondrer et il s’en fiche, l’homme occidental, il n’en fait pas partie, de la nature, il n’en fait pas partie, du monde animal, il ne crève pas, l’homme occidental, il regarde les autres crever.

Lire la terre

Lire la terre. Lire La Terre de Zola comme un paysan lit sa terre, ma terre. Fils de paysan, lire La Terre après mon père, y retrouver, malgré le siècle, malgré la machine, malgré l’arrachement, la chaleur des moissons, la sueur, la soif, le corps douloureux, l’homme qui se cogne à la terre, à sa terre, à sa mère. Le paysan est marin de terre. Et le désir, ces corps brûlés des femmes qu’on possède sans y penser, les retrouver ou les perdre ? C’est le chapitre quatre de la troisième partie. Françoise se donne à Jean, se refuse à Buteau, le désire. La terre, la fécondation, le blé en herbe, quelque chose d’une nature à jamais souillée, désertée, quand à la fin du chapitre surgit la mort : en assassinant la paysannerie, c’est la terre qu’on assassine.

Terre où je suis né, terre pauvre et nue,

Ton sol est pierreux et tes champs ingrats.

Mais, quand je conduis ma vieille charrue,

Je sens ton doux cœur battre dans mes bras.

Et penser que cette année, c’est le centième anniversaire de mon grand-père et que plus personne ne chante La Chanson d’Aliénor.

Mais il reste la voix de Charles Jauquier dans Paysan, que ton chant s’élève, avec la Chanson de Fribourg et l’abbé Kaelin.

Outulis ?

Outulis ? Oulitu ? Tuliou ? Dans le train, au bistrot, dans ton lit ? Partout je lis. Assis sur le fauteuil jaune, je lis. Assis sur un caillou au bord de l’Arbogne, je lis. Assis surtout je lis. Deboutulis ? Couchétulis? Asssijelis. Si, couchéjelisaulit. (Trève de doukipudonktan). Est-ce que le lieu de la lecture, est-ce que la posture de la lecture, ça change quelque chose à l’expérience de lire ? Ce matin, je lisais au TM, un bistrot. On me tournicotait autour, des gens buvaient des cafés, moi aussi j’avais commandé un café, est-ce qu’on lit autrement quand on boit du café ? Je ne sais pas, je bois trop de café. Est-ce qu’on boit autrement quand on boit de la bière ? L’autre jour, je lisais Anne-Sophie Subilia dans le train, je découvrais, je ne pigeais rien, je sortais de l’apéro et la pauvre Anne-Sophie, je lui en voulais d’être si obscure, mais Anne-Sophie, quand je l’ai relue à jeun, m’a traité de poivrot, tu pouvais pas attendre de décuver avant de me lire ? Et est-ce qu’on lit mieux le matin, l’après-midi, le soir, la nuit ? “J’ai relu tout Grangier la nuit.”, me dit-il, me citant tous les titres. Grangier, je crois que j’en ai lu un, dans le train, Le vol des cigognes. Est-ce que lire des histoires sordides de meurtre et de torture, ça empêche de dormir ? Je lis peu au lit. On lit mieux quand on n’est pas fatigué (et on écrit mieux aussi quand on n’est pas fatigué, et là, il se trouve que c’est vendredi soir et que je suis fatigué, alors mieux cesser icitouceci).

Petite bibliothèque kaamelottienne

Kaamelott, on peut apprécier la série sans savoir lire (comme Perceval), mais en lisant autour d’elle, on peut l’apprécier encore plus. Voilà un tout petit aperçu des lectures possibles si l’on veut mieux comprendre le phénomène Kaamelott :

Les livres évoqués ci-dessus :

  • Michel Zink, Introduction à la littérature française du Moyen Age, Presses universitaire de Nancy, 1990.
  • Dominique Boutet, Histoire de la littérature française au Moyen Âge, Éditions Champion, 2003.
  • Chrétien de Troyes, Romans de la Table Ronde, traduction de Jean-Pierre Foucher, Éditions Gallimard, 1970.
  • Chrétien de Troyes, Le Chevalier de la Charrette, traduction de Charles Méla et Catherine Blons-Pierre, Librairie Générale Française, 1992 et 1996.
  • Stéphane Encel, Petit crapahut dans le parler de Kaamelott à l’usage des pégus et du gratin, Le Passeur, 2021.
  • Clément Pelissier, Explorer Kaamelott : Les dessous de la Table Ronde, Third Éditions, 2021.
  • Alexandre Astier et Steven Dupré, Kaamelott (9 tomes publiés chez Casterman de 2006 à 2020).

Dans ma vidéo, il est aussi question d’un film (parmi tant d’autres), dont voici un extrait :

Quant au mot de la fin, laissons-le à Perceval :