Journal du 23 au 27 décembre 2023

Ce que j’ai lu

Laisser les époques et les genres s’entremêler : le dix-neuvième siècle anglais d’un auteur américain, ce Henry James resté chaste toute sa vie, sa vie à rebours ; le vingtième siècle terrible des camps de Chalamov ; le début du dix-septième siècle espagnol (relecture don Don Quichotte, tellement plus de distance avec le personnage, tellement plus de plaisir, comme si jadis j’avais lu les livres comiques avec trop de gravité, même impression que pour Mort à crédit, cet exil à la campagne avec Courtial des Pereires, Don Quichotte des inventeurs, et Ferdinand, son Sancho, et sa femme, la grande mignonne, avec ses bacchantes, Dulcinée vieillie) ; le temps des pirates en bande dessinée ; et Dante, n’en plus finir de remonter à la surface ; et Emma Goldmann, l’anarchiste foutue dehors et des Etats-Unis et d’URSS ; et ce Petit manuel philosophique à l’intention des grands émotifs, histoire à la fois d’accepter et de se méfier de ce qui se passe en nous.

Fatras ? Certes, mais plaisir (surtout dans les romans, avouons-le, l’insomnie en compagnie du chevalier à la triste figure, on se réjouit de se réveiller en sursaut au milieu de la nuit).

Ce que j’ai vu

Quelques vidéos glanées sur YouTube, ces carnets de François Bon, ces autrices qu’il dégotte, sa diction dans les choses lues, la vie littéraire par Gabrielle Roy, grâce à qui le Canada remporta le prix Fémina, des livres d’aujourd’hui, cette Grammaire pour cesser d’exister dont le titre seul suffit à rêver, une page oubliée d’Annie Ernaux, et puisqu’il est question d’œuvres oubliées ou perdues ou pas même nées, ces Wandering rooms qu’imagine Sophie Rabau, dans l’angle mort de James Joyce et de Théodore Reinach, ce lieu qui bougerait sans cesse, cette maison dont les pièces danseraient (on pense bien sûr à La maison des feuilles), l’œuvre perdue devenue œuvre à inventer, œuvre perdue du futur.

Ce que j’ai entendu

Tentative de dégenrer l’algorithme de YouTube musique à partir de Que demander à Clara ? : Else Aarne, Caia Aarup, Katy Abbott, Keiko Abe, Rosalinda Abejo, Eliane Aberdam, Isabelle Aboulker (toutes trouvées mais le morceau suivant, laissé au choix de la machine, c’est toujours de la musique de mec, souvent de l’entendu mille fois, parce l’algorithme, ce qu’il croit, c’est que l’auditeur a envie d’entendre toujours les mêmes machins, à l’instar de cette Sarabande de Barry Lindon, du film Stanley Kubrick de Jean-Sébastien Bach qui semble le must du must en matière de musique classique pour YouTube). Quant aux podcasts, c’est avec philosophie que je les écoute, entre Erasme et la sociologie (cette question du poids de la société sur les individus, si cruciale, même si les philosophes, avouons qu’ils l’abordent de manière si théorique qu’on peine à s’y accrocher, alors on change de podcast, on écoute l’histoire de l’apôtre du cru, un homme qui s’affranchissant du poids de la société crée un enfer, crée, disons-le plus précisément, une nouvelle société pire que la société, même si au fond ce qui pose problème dans cette question du poids de la société, c’est la notion de société dont le singulier me semble problématique, mais me voilà moi-même théoricien, alors allons faire un tour du côté des mauvais genres, inventons de nouvelles sociétés farfelues mais qui resteront à l’état de bouquins, voilà peut-être comment échapper au poids de la société sans créer pire que la société).

Ce que j’ai fait

Il y a bien sûr un peu d’écriture, l’ouverture d’un fichier pour le roman qui peine à naître, des notes de carnet, de l’écriture vite faite, pas d’envie d’y plonger longtemps. Il y a aussi de la musique, des airs de clarinette (mais plus d’anches potables, alors on attend la commande et on joue peu, on déchiffre à peine) et de la vidéo (grand rattrapage en cours, mise en ligne de Bobin, de Beckett surtout, et de ce livre sur la guerre du Sonderbund où lire les noms des villages d’ici dans un contexte de guerre, ça résonne avec la terrible actualité : ici aussi…). Ce qu’il y a eu surtout, c’est l’envoi à quelques-uns (à quelques-unes surtout) de cette chanson, Les gentils, ma première, pour l’instant a capella, parce que je ne sais pas faire plus, cadeau de Noël que je me fais en l’offrant, même si ce que la chanson a d’intime, je crains de le révéler, ce que cela dit de ma fragilité aussi, même si je me cache derrière l’humour (réactions positives en général, ou silence, à ne pas interpréter, ils (elles surtout) me diront en live ce qu’ils (elles surtout) en pensent).