Journal du 6 au 7 avril 2024

Ce que j’ai lu

Un homme qui se transforme en bestioles, qui vit avec une grenouille, qui a pour ennemi intime un homme qui se transforme en objets, où me suis-je donc fourré avec cet Animan ? D’autant plus que Don Quichotte, ce n’est pas beaucoup plus sain d’esprit. Lectures pour déglinguer le sinistre quotidien où rien ne se passe, grain de folie nécessaire et sans risque.

Ce que j’ai vu

De plus en plus sombre, Les 100, voilà qu’ils crucifient les récalcitrants. On s’acharne à regarder des horreurs. À quoi bon ? Parce que telles horreurs, certes ici c’est une série, mais dans la réalité aussi les utopistes tuent.

Ce que j’ai entendu

Oratorios, Franck Martin puis Arthur Honegger, In terra pax et Le Roi David, par le Chœur de Chambre de l’Université de Fribourg (ma voix perdue parmi la foule, dans la belle église en béton d’Hérémence, avoir été un atome dans ce cri) : musique de tripes et de lamentations (interdite dans la Cité des Lumières des 100, parce que de souffrance il est question en permanence, même si tout s’éclaire à la fin, un jour viendra où une fleur fleurira).

Ce que j’ai fait

L’éparpillement du faire donne l’impression qu’on ne fait rien quand on fait trop. Relecture à petite doses de Fribourgs, sabrer certes mais pas trop (ce monologue du vieux de la Vignettaz, ses pommiers, sa villa, son épouse, j’en suis assez content, parce que ça délire bien), acharnement sur guitare et sur clarinette (le piano, on jouote), accouchement difficile de cette chanson où je me mets à la place d’une, Journal intime, ou comment évoquer l’écriture qui refuse la lecture.

Journal du 31 mars au 5 avril 2024

Ce que j’ai lu

Le czar de Russie m’a profondément déçu ; je l’ai trouvé pignouf.

Gustave Flaubert

C’est une lettre à George Sand datée du 15 juin 1967, George Sand que Flaubert nomme « chère maître ». Alors que le grand auteur s’acharne à peaufiner son style, qu’il passe cinq ans à gueuler L’éducation sentimentale, qu’il en ressort avec au fond de l’âme une haine profonde de la petitesse bourgeoise, voilà qu’il se lâche et que cela fait le plus grand bien, semble-t-il même si soudain les malheurs s’accumulent, les amis meurent, la guerre survient, Flaubert se retrouve seul, son bouquin sur lequel il a tant sué reçoit un accueil mitigé, il se plaint de ne pas recevoir assez de visites de sa nièce et de sa chère amie de Nohant, il s’occupe de sa vieille mère et voudrait bien pouvoir écrire mais c’est peine perdue, alors ce sont des lettres qu’il pond, et lire ces lettres, c’est pénétrer dans l’atelier, dans la tête, dans le cœur de Flaubert et c’est peut-être ainsi qu’il faudrait entrer dans son œuvre, par ses à-côtés, par cette misanthropie de plus en plus franche, par la tendresse d’un oncle ganachon qu’on laisse se déplumer dans son coin mais qui nous, nous remplume.

Ce que j’ai vu

Dans Les 100 (je ne sais pas quelle saison, la quatre, je crois), l’ennemi, de plus en plus c’est l’IA : dans la Cité des Lumières, on ne souffre pas. C’est une utopie (demandez au pauvre Flaubert qui perd Bouilhet puis Duplan puis Sainte-Beuve puis Jules de Goncourt puis qui voit les Prussiens s’approcher de Croisset, ce que c’est que souffrir) mais un monde où l’on ne souffre pas c’est un monde où ceux qu’on a aimés on les oublie et ce n’est pas un monde vivable comme n’est pas vivable un monde où l’on ne meurt pas. Un monde où l’on ne souffre pas, c’est, dans Les 100, une dystopie. Raven s’en rend compte. Elle veut retrouver le souvenir de ses disparus.

Ce que j’ai entendu

Musicopolis, la musique dans la cité et cette question de la place des femmes dans l’histoire de la musique, leur place à la radio, au disque, au concert, leur place aussi dans les algorithmes. Depuis quelque temps, je lance l’algorithme systématiquement par une compositrice, jamais la même (cette mine, Que demander à Clara ?, je les prends dans l’ordre alphabétique, j’arrive bientôt à la fin de la lettre A) et ce qui suit ce sont toujours les sempiternels Bach (le père), Mozart (le frère) et compagnie, pas une seule femme, pas un seul retour de celles déjà découvertes (et déjà oubliées). L’algorithme est désespérément conservateur : non seulement les musiques de femmes sont invisibilisées mais c’est aussi le cas de la musique contemporaine (nombres de ces compositrices sont vivantes) qui nous renvoie encore et toujours aux éternels Schumann (le mari), Brahms (l’amoureux transi) et tutti quanti.

Ce que j’ai fait

Bien peu, malgré le temps propice des vacances. Des éclats et des égarements. Relecture au sabre de Fribourgs, difficulté à chanter l’intime d’une, formation lente des callosités aux doigts du guitariste trop amateur, montage de quelques vidéos (celle-ci que l’auteur me fait l’honneur de commenter, celles encore à venir), tentative infructueuse de compréhension d’un exercice censément heureux que m’a envoyé ma prof de clarinette juste avant sa fuite en Égypte, quelques notes prises au vol dans le carnet, mauvaises notes sans doute, occupations dilettantes, histoire de passer le temps sans sécher.

Journal du 28 au 30 mars 2024

Début de vacances : soudaine mélancolie. Solitude à meubler. Contre-courant. Tout le monde dit : profite bien. Mais tout le monde s’en va. Se réfugier dans la lecture et la culture puis lancer ici une bouteille à la mer.

Ce que j’ai lu

Ce vieux volume de la correspondance de Gustave Flaubert trouvé dans un grenier, les lettres de 1865 à 1870, pendant l’écriture de L’éducation sentimentale. Il est étrange de lire une correspondance dont on a les lettres que d’une personne. Flaubert écrit à sa nièce Caroline (il signe ton vieux ganachon), aux frères Goncourt comme s’ils n’étaient qu’une seule personne, à d’illustres inconnus, mais jamais on a leurs réponses. Cette écriture des lettres de Flaubert, c’est un peu une écriture blog, adressée mais pas tant que ça, commentaires désactivés. On devine une vie (sa mère malade, l’écriture du roman qui peine à avancer, les problèmes de fric) mais on reste à sa surface, savourant la légèreté du style de Flaubert quand il ne ripoline pas.

Ce que j’ai vu

Repris Les 100, série dystopique parmi mille séries dystopiques, série violente parmi dix-mille séries violentes. Ça tourne au totalitarisme. Il reste quelques résistants. Lincoln se sacrifie. Octavia se raidit. Il y a de la vengeance dans l’air et on se rend compte aussi que la vie sans souffrance n’est peut-être pas la solution, parce que ne pas souffrir c’est aussi ne pas se souvenir. Bref, une série comme Les 100, toute bourrée de clichés qu’elle soit, donne à réfléchir sur les grandes questions de la vie. C’est pour ça qu’on accroche.

Ce que j’ai entendu

Ce qu’on entend entre dans une oreille, traverse le crâne, sort de l’autre oreille. J’ai écouté de la musique et des podcasts mais c’est passé, ça m’a intéressé, charmé, énervé, puis rien. Il a été question de Méditerranée, d’Égypte (j’ai retenu l’Égypte à cause d’une qui s’y rend), de vieillesse, il y a eu du piano, des voix, des mots qu’on comprend à peine. L’oreille a été caressée mais pas plus.

Ce que j’ai fait

Relancer les vieilles machines : Celsius et Fribourgs. Revoir ce qu’on a déjà fait et sabrer. Quand on n’est pas en phase de production, quand l’écriture flux tarit, on reprend ce qui a déjà été écrit et on appuie sur ctrl X (mais pas toujours, on garde seulement ce qui le mérite et dans ce qui le mérite on sabre aussi). Nouveautés ? Petites écritures habituelles, pour garder la main.