Journal du 9 au 22 décembre 2023

J’ai lancé ce journal de lecture et de culture en fanfare, dans l’enthousiasme des idées nouvelles, bien décidé à faire feu de tout bois, à évoquer, écrivais-je, tout ce qui dans ma vie touchait de près ou de loin à la lecture et à la culture. Alors j’ai noté, noté et encore noté, j’ai rempli un cahier de listes et j’ai pris peur. Que faire d’une telle accumulation ? Que jeter ? Que garder ? Tentons ici d’y mettre un peu d’ordre, de couper dans le vif, de ne garder que ce qui compte.

D’abord, déterminons des catégories : ce que j’ai lu, ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu, ce que j’ai fait. Puis sélectionnons (on jettera bien plus que ce qu’on gardera, peut-être ne gardera-t-on qu’un seul élément par catégorie) et écrivons (tous les jours, c’est trop ; toutes les deux semaines pas assez ; on trouvera le tempo qui convient).

Ce que j’ai lu

D’abord la liste (sans doute incomplète) : Freud, Dante, Antoinette Rychner, Chalamov, Céline, Charles Juliet, Ilaria Gaspari, Cervantès, David Lodge, L’Histoire, Charlie Hebdo (pourquoi dans cette liste certains noms sont-ils précédés d’un prénom et qu’autre pas ? qu’est-ce que cela indique du rapport que j’entretiens avec tel auteur ou avec telle autrice ?).

Choisir ? Il y a ce qu’on lit à haute voix, Dante (le purgatoire, tellement plus ennuyeux que l’enfer) et Céline (Mort à crédit, cette partie extraordinaire avec le Cyclotron de Courtial des Pereires, les enthousiasmes et les déconvenues, la horde des inventeurs qui se rue sur ceux qui les bernent, à la fois épique et comique, ce souffle génial de Céline quand ça s’accélère) et il y a les autres lectures, les amis (Charles Juliet, la gravité et la grâce, et Cervantès, l’inverse, la légèreté, et peut-être la grâce aussi, richesse et complexité de Don Quichotte) et les découvertes (Antoinette Rychner, Après le monde, le monde qui s’écroule, dystopie dont on se dit qu’il se pourrait bien qu’elle arrive ; Ilaria Gaspari, Petit manuel philosophique à l’intention des grands émotifs, qui laisse un peu sur sa faim le philosophe en moi parce qu’elle ne fait que parler d’elle, cette femme-là, et que j’espérais un traité des émotions, ce que ce livre est, mais pas assez) et les livres aussi dont à l’impression qu’on passe un peu à côté (Freud et la psychanalyse, quelque chose cloche, je n’y comprend pas grand-chose, ai l’impression parfois que ça raconte n’importe quoi ; Chalamov, j’entre par ces Souvenirs de la Kolyma alors qu’il aura peut-être fallu d’abord lire ses Récits de la Kolyma). Ne pas choisir (Lodge, je viens de commencer, il est question d’Henry James, figure qui ne m’est pas familière, je crois avoir lu quelques nouvelles, sans y comprendre grand-chose là non plus ; et dans Charlie un article terrible sur celles qu’ils appellent les « filles faciles »).

Ce que j’ai vu

Vu et entendu, est-ce deux catégories différentes ? À voir (ou à entendre). Remarquons que je n’ai pas vu de ce qu’on appelle du spectacle vivant durant ces deux semaines, du moins du spectacle vivant autre que la vie des gens qu’on frôle, même si ces vidéos que j’ai glanées sur YouTube sont à classer parfois, malgré le décalage du temps et du lieu, dans une telle catégorie, comme cette soirée Valère Novarina à la Maison de la Poésie ou les contes asiatiques du calendrier de l’Avent de Laurent Peyronnet (la lecture comme chose vue, pas seulement lue ou entendue, ce plaisir de voir dire, comme quoi voir et entendre, je ne devrais pas séparer, parce qu’entendre les mots de Novarina, cette litanie autour de Dieu, ces noms propres, ces dialogues dingues, c’est sans doute mieux que les lire, comme si la mise en son et en espace ajoutait du sens aux mots, mais je n’ai pas lu Novarina seulement sur papier et ai le sentiment qu’après l’avoir vu et entendu je serais déçu que cela soit réduit à des lettres noires sur fond blanc).

Autres choses vues ? Breaking Bad (arrivé au milieu de la dernière saison, la guerre des beaux-frères, ou comment en croyant faire le bien on fait le mal, Walter White de moins en moins sympathique, Jesse Pinkman de plus en plus) et ces conférences autour des œuvres perdues (le premier Tartuffe reconstitué par Georges Forestier, une pièce disparue de Shakespeare inspirée de Cervantès, et ces compositrices (voir et entendre, ici la frontière disparaît) que l’histoire de la musique a effacée et que Claire Bodin ressuscite), évocations passagères de ce qui un jour exista puis le lendemain n’exista plus, un peu comme tout ce que j’ai noté dans ce carnet et que je ne prends pas la même la peine de reprendre ici, mais l’envie d’aller les écouter, ces compositrices qui, parce que femmes, n’ont pas été entendues.

Ce que j’ai entendu

Et si, dans ce que j’en entendu (des podcasts et de la musique enregistrée principalement, un peu de musique en live aussi), je ne notais que le féminin ? Dans l’entretien littéraire, Elisa Shua Dusapin, Agnès Desharte, Isabelle Cornaz (l’envie de lire son livre, ses déambulations dans Moscou, La nuit au pas) ; d’autres noms de femmes : Valérie Rouzeau (déjà oublié qui c’est), Nina Simone, Louise Forestier, Edith Piaf, Natacha Appanah. Et en vrai : Margot Corminboeuf (ma prof de clarinette, qui montrait à l’élève précédente, aussi entendue, mais je ne sais plus son nom, comment jouer un morceau). Sinon : des types.

Ce que j’ai fait

Faire, verbe aux contours assez flous. J’ai enseigné (cet atelier Kaamelott repris avec le plaisir de retrouver de vieux potes et de reprendre une fructueuse collaboration). J’ai fait de la musique, dans plusieurs sens : j’ai joué de la clarinette (le concert d’automne de la Concorde, il faisait trop chaud dans cette église, on n’était pas prêts à ça, mais on s’en est sorti, le concert du Téléthon, où personne n’écoute, dirait-on, mon cours, où il faut, m’a dit Margot, que je consolide et accélère le tempo, mais Mozart est un salaud et le génie, dans la famille Mozart, il paraît que c’est sa sœur ; j’ai essayé (grande première) de retranscrire la mélodie et (très peu et sans doute très mal) d’harmoniser cette chanson, Les gentils, en ré mineur (du moins je crois) ; j’ai pour la millième fois tenté de pianoter cette berceuse de Brahms (le génie, chez Brahms, il paraît que c’est Clara Shumann) mais rien à faire, il y a toujours une note fausse qui vient réveiller le bébé qui dort.

Et écrit, est-ce que j’ai écrit ? Qu’est-ce que je viens de faire, pondre des œufs ? J’ai écrit, un peu, des trucs de carnet, une chanson d’automne (qu’il est temps que je termine, puisque c’est l’hiver), un paragraphe (bref) du prochain livre qui ne décolle pas, mais j’en ai parlé, de ce futur livre, à quelqu’un qui compte, alors je vais m’y mettre, en attendant les réponses de ces inconnus qui ont reçu Grange et qui se taisent (sauf un) (et la même personne qui compte m’a dit avoir aimé le livre, même si je me répète un peu, alors je garde espoir) (et je clos ce journal, histoire d’éviter de me répéter).

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