Relire L’Œuvre

Relire, et en relisant, faire face aux failles de sa mémoire. De L’Œuvre de Zola, j’avais gardé en tête cette peinture de l’enfant mort. J’avais dans l’idée que cela s’étalait sur des dizaines de pages. Je relis : l’enfant meurt, son père le peint, ce ne sont que quelques lignes. Force d’une écriture qui parvient à tant imprégner celui qui la lit qu’elle s’en trouve littéralement augmentée. Recopions :

Claude s’était mis à marcher, dans un besoin nerveux de changer de place. La face convulsée, il ne pleurait que de grosses larmes rares, qu’il essuyait régulièrement, d’un revers de main. Et, quand il passait devant le petit cadavre, il ne pouvait s’empêcher de lui jeter un regard. Les yeux fixes, grands ouverts, semblaient exercer sur lui une puissance. D’abord, il résista, l’idée confuse se précisait, finissait par être une obsession. Il céda enfin, alla prendre une petite toile, commença une étude de l’enfant mort. Pendant les premières minutes, ses larmes l’empêchèrent de voir, noyant tout d’un brouillard : il continuait de les essuyer, s’entêtait d’un pinceau tremblant. Puis, le travail sécha ses paupières, assura sa main ; et bientôt, il n’y eut plus là son fils glacé, il n’y eut qu’un modèle, un sujet dont l’étrange intérêt le passionna. Ce dessin exagéré de la tête, ce ton de cire des chairs, ces yeux pareils à des trous sur le vide, tout l’excitait, le chauffait d’une flamme. Il se reculait, se complaisait, souriait vaguement à son œuvre.

Émile Zola, L’Œuvre, 1886.

(J’avais pensé illustrer ce texte par un tableau, mais c’est peut-être l’inexistence même de ce tableau en dehors des mots de Zola qui en fait la force.)