Professeur de poésie

Au programme aujourd’hui, la poésie. Le professeur ne sait pas par quel bout empoigner l’affaire. Les élèves soupirent. À quoi ça sert, monsieur, la poésie ? Le professeur soupire : à rien, ça ne sert à rien, et c’est pour ça que c’est si important, la poésie, c’est de la langue à l’état brut, de la langue qui échappe à la com’, c’est pour la beauté du geste, la poésie. Le professeur a écrit au tableau le gros mot : POÉSIE. Dites tout ce qui vous passe par la tête. Tout ? Tout. Incompréhensible, voilà le premier mot qui vient, et puis les rimes bien sûr, les alexandrins, tout ça, et l’amour, la nature, et des noms de poètes, Victor Hugo, ça marche pour tout, Victor Hugo, la poésie, le roman, le théâtre, tout, et La Fontaine, est-ce que c’est de la poésie, les fables de La Fontaine ? Le professeur n’ose pas citer les noms qu’il aime, il évite Mallarmé, il saut à pieds joints sur Rimbaud, sauf le dormeur, bien sûr, de Rimbaud on ne lit que le dormeur, les deux trous rouges, tout ça, et ceux du vingtième siècle, n’en parlons pas, il a ressorti Plupart du temps, le professeur, il avait étudié ça à l’époque, Reverdy, ça a l’air lisible, il a corné une page, il lit, puisque ça a l’air lisible, il relit, parce que ce n’est pas si lisible que cela et il se demande, le professeur, si ce n’est justement pas ça, la définition de la poésie, l’illisible, et il referme Plupart du temps.

Un bout de poésie, à la page cornée de Plupart du temps de Pierre Reverdy.