Professeur de poésie (2)

Retour aux sources : l’amour courtois. En face : des informaticiens. L’amour courtois à distance. Toujours à distance, l’amour courtois. Le chevalier, loin de sa Dame, s’ennuie. Et le voilà écrivant des poésies, toujours les mêmes : je vous vis à la fontaine et mon cœur s’enflamma ; depuis lors (ou Laure, quand l’amour courtois deviendra pétrarquiste) je ne vis (les poètes jouent sur les mots, je vous vis et je vis, et parfois d’autres vis plus vulgaires) que pour vos yeux vifs, vos blanches joues et votre virginal maintien (c’est du Adam de la Halle dans le texte, mes informaticiens d’en face ont eu bien de la peine à imaginer le virginal maintien). Un élève, sagace : au bout d’un mois, ils n’en avaient pas marre d’écrire toujours la même chose ? Non, ils aimaient ça, les poètes de l’amour courtois, répéter à l’infini les mêmes mots en les triturant dans tous les sens, ils s’éclataient en ressassant leurs malheureuses amours, les trouvères et les troubadours, comme s’éclatent mes informaticiens avec des 1 et des 0 et des 1 et des 0 et des 0 et des 1 et des … Le code informatique, n’est-ce pas la poésie d’aujourd’hui ? l’algorithme de l’amour courtois, quand est-ce que vous nous l’implémentez, messieurs (et madame, il n’y avait qu’une, et aucun troubadour improvisé n’a daigné lui déclarer sa flamme) les informaticien.ne.s ?

Tant con (non, ce n’est pas drôle, c’est juste “que”) je vivrai, d’Adam de la Halle, par l’ensemble vocal TENET

Tant con je vivrai
N’aimerai
Autrui que vous.
Ja n’en partirai,
Tant con je vivrai.
Ains vous servirai
Loiaument mis m’i sui tous.
Tant con je vivrai
N’aimerai
Autrui que vous.